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Depuis des années, le parti de Marine Le Pen couvre d’un vernis social ses traditionnelles obsessions identitaires. Le parti espère ainsi séduire un électorat populaire qui est pourtant le premier à pâtir de sa politique dans les collectivités qu’il dirige.

par Tristan Berteloot et Nicolas Massol

- Peur de ne pas pouvoir remplir votre piscine cet été ? De devoir vous passer de golf à cause des restrictions d’eau ? Le Rassemblement national a la solution. Le 20 juin, le député du Var, Philippe Schreck, et cinquante de ses collègues de groupe ont déposé à l’Assemblée une proposition de loi visant à suspendre l’obligation de construction de logements sociaux dans les territoires frappés par la sécheresse. Le rapport entre les deux ? Il n’y en a pas vraiment. Mais il faut bien trouver une raison : Philippe Schreck est contre les «quotas». C’est «discrétionnaire, cela ne tient pas compte des particularismes de certains territoires», justifie-t-il. «L’accumulation massive et contrainte de nombreux logements collectifs dans un contexte de stress hydrique ne fera que renforcer la problématique de déficit d’approvisionnement en eau potable», peut-on quand même lire dans les motifs ampoulés de sa proposition de loi.

Pour anecdotique qu’elle soit, la mesure lepéniste n’en révèle pas moins une constante du parti d’extrême droite : l’image sociale du RN est largement usurpée. Elle n’est qu’un miroir aux alouettes fait de quelques propositions emblématiques à destination des classes populaires (retraite à 60 ans pour les actifs ayant commencé à travailler avant 20 ans, baisse de la TVA sur les carburants ou certains produits alimentaires…). Ces idées, dont l’efficacité fait débat chez les économistes, masquent un programme globalement plus souriant aux citoyens fortunés qu’aux pauvres.

 

Le diable se niche dans les détails. Ce n’est jamais sur les plateaux télés ou dans les communiqués de presse que le RN dévoile son jeu. Mais certains de ses amendements ne trompent pas : comme celui, en septembre 2022, qui cherchait à priver de chômage les titulaires de CDD ayant refusé un CDI. Ses votes aux assemblées régionales sont similaires. En Occitanie, le groupe RN s’oppose depuis 2016 au budget régional prévoyant la gratuité des manuels scolaires ou d’un ordinateur, en mettant en avant un «coût considérable pour la collectivité». Dans la même région, le parti d’extrême droite vote systématiquement contre les aides à la création et à la réhabilitation des logements sociaux… à l’exception des dossiers concernant Perpignan – aux mains du RN depuis 2020. La liste est longue. Car, au mouvement lepéniste, le pauvre vaut rarement le coût.

Et pourtant, certains martèlent que ses électeurs ne voteraient plus pour lui seulement pour son programme sur l’immigration – son cœur de métier – mais aussi pour ses idées «sociales». A la dernière présidentielle, les mêmes ont cru voir chez la candidate du parti d’extrême droite, Marine Le Pen, une mutation sur la question. C’était à peine si elle n’était pas devenue «de gauche». Il fallait entendre la députée du Pas-de-Calais, dans l’entre-deux tours, s’adresser ainsi au «peuple» : «De votre vote dépend la place que, dans notre société, nous voulons donner au pouvoir de l’argent. Je pense par exemple à l’importance que nous accordons à la solidarité envers les plus vulnérables», courtisant ainsi cette frange d’électeurs insoumis jugés capables de se laisser tenter par son «rassemblement des Français autour de la justice sociale et de la protection», garanties… «par un cadre fraternel autour de l’idée millénaire de nation et de peuple». Ni plus ni moins, au final, que l’expression pure de son populisme : l’obsession identitaire du Front appliquée au terrain social.

la chercheuse Valérie Igounet le rappelait en 2016, dans un court article à la Revue Projet («la conversion sociale du FN, mythe ou réalité ?») : depuis des décennies – au moins les années 90 – le parti d’extrême droite fait du «combat social l’un des piliers de la crédibilité de son programme, après l’insécurité et la lutte contre l’immigration».

Sauf que, comme souvent avec lui, il s’agit d’un leurre. Malgré ce qu’il tente d’afficher en façade, le FN (devenu RN) ne transpire pas la fibre sociale quand il est aux affaires. Son marqueur principal reste «la préférence nationale» – l’accès aux droits réservé en priorité aux Français dits «de souche» – dont découle tout le reste. Le mouvement de Marine Le Pen conditionne donc toujours sa «solidarité» à quelque chose, et pas seulement au bénéfice électoral qu’il pourrait en tirer : à l’origine ethnique d’abord (la préférence nationale), à une «responsabilisation» en retour, parfois à une soumission idéologique. Valérie Igounet le résume ainsi : «sous couvert de justice sociale, la propagande frontiste puise toujours ses principaux ressorts idéologiques dans cette “préférence nationale” et l’islamophobie pour dénoncer les inégalités de traitement entre Français et étrangers, lesquels seraient avantagés, notamment pour les prestations sociales.»

A Fréjus, c’est le maire RN David Rachline qui gèle les subventions du quartier maghrébin de la ville, la Gabelle, pour le punir de s’être rebellé . A Beaucaire, c’est le maire RN Julien Sanchez qui pense que «si on arrêtait un peu avec l’assistanat, les Français chercheraient aussi un peu plus de travail». L’une des premières mesures de l’édile, élu en 2014, a été de réduire à un euro la prime de fin d’année pour les agents municipaux absents plus de vingt jours par an.

A Perpignan, c’est le maire RN Louis Aliot qui pérore en conseil municipal sur ces «associations caritatives, qui ont leur utilité […] mais qui finalement, par leur action, on va dire “humanitaire”, contribuent à implanter les SDF sur certaines zones de la ville». «En allant leur porter de la nourriture […] sur les endroits de mendicité, elles contribuent à l’installation de la mendicité à ces endroits-là, balance-t-il. Il faut aider [ces SDF], mais, pas là.» Dans «extrême droite», il y a bien «droite».

A Villers-Cotterêts (Aisne), on a la volonté de réduire le ramassage scolaire des quartiers excentrés, comme au temps de Jacques Bompard à Orange (Vaucluse), quand on supprimait les bus gratuits pour les enfants allant aux centres de loisirs, sous prétexte d’«économies». A Villers-Cotterêts, c’est aussi le prix de la cantine scolaire qu’on augmente. Pourtant, la ville de 10 000 habitants n’a pas de problèmes d’argent. Elle investit si peu qu’elle tourne avec un fonds de roulement de 10 millions d’euros en caisse. Mais le maire RN, Franck Briffaut, «actualise l’augmentation des coûts avec l’inflation». Et, au passage, profite du manque de structures tout en abandonnant l’idée d’en construire : «On a plus de demandes en cantine que de places, on prend ça en compte.» Quand il est arrivé aux affaires, en 2014, le tarif du repas le plus bas est passé de 1,50 euro à 2,65 euros, presque 80 % d’augmentation, et Briffaut a parlé de responsabiliser les familles. «Rien n’est gratuit dans ce monde. Expliquons aux gens que tout a un prix», dit-il. En 2022, le tarif est à nouveau monté. Même chose en 2023. Il est aujourd’hui à 2,90 euros. Tant pis si cela exclut les plus pauvres : «il y a plein de paliers», se dédouane Briffaut. Et pour dire que ce n’est pas si cher : «il y a même des couples qui ne travaillent pas, qui mettent leurs enfants à la cantine», même si, bien sûr «on met prioritaires ceux qui travaillent».

A Hayange (Moselle), c’est encore différent. Le maire RN, Fabien Engelmann, a interdit aux associations sociales d’exprimer un avis, sous peine de sanction. Depuis des années, il s’en prend au Secours populaire, a qui il a supprimé les subventions, fait couper le chauffage, envoyé les huissiers, multiplié les avis d’expulsion, depuis qu’un jour sa directrice, Anne Duflot Allievi, a «politisé l’antenne» (selon ses termes à lui), en critiquant un jour (dans les colonnes de Libé) une de ses décisions d’organiser un goûter de Noël excluant les enfants de réfugiés. De fait, cette femme serait «promigrants», ce qui autoriserait l’élu à la persécuter. Il s’agit d’un avertissement : «avec les associations qui ne politisent pas leur discours, on n’a pas de problème», se gargarise Engelmann. C’est vrai. Dans le hangar de la rue Jean-Jaurès où se trouve le Secours populaire, il y a aussi le local des Restos du cœur, où la directrice Nathalie Klein s’inquiète de l’explosion du nombre de bénéficiaires ces derniers temps : +40 % cette année, elle n’a jamais vu ça en vingt ans. Mais quand on lui parle du maire RN d’Hayange, elle préfère ne pas répondre. «Je ne fais pas de politique, dit-elle. Tout le monde est dans la merde.»

A Hayange, les structures manquent. Le Centre communal d’action sociale (CCAS) n’a qu’une assistante sociale pour 16 000 habitants, dans une ville ou le taux de pauvreté atteint les 19 %, au-dessus de la moyenne française. La directrice y est en arrêt maladie depuis des mois, l’intérim étant assuré par le bras droit d’Engelmann, un certain Baptiste Philippo, directeur des services juridiques de la ville. L’opposition dénonce des défaillances et demande, en vain, les comptes de l’organisme, qui reçoit 380 000 euros par an de subventions directes de la commune. Le maire ne voit pas où est le problème : «Ça tourne très bien, on a du personnel, et on n’a que cinq, six appels par jour. L’ancienne directrice se perdait pour le moindre dossier. On octroie des aides, des bons alimentaires, on organise le Noël solidaire, on a une navette seniors, un minibus qui va chercher à domicile les plus de 60 ans, cela participe au dynamisme des commerces.» Et soigne, surtout, l’électorat frontiste.

Au RN, l’argument du social sonne creux

Le parti lepéniste a beau jeu à chaque élection de se présenter comme l’allié des classes populaires. Celles-ci sont, dans les faits, vite laissées de côté une fois le pouvoir conquis dans les villes.

L'édito par Alexandra Schwartzbrod publié aujourd'hui à 20h39

Cela a commencé par l’euro. Un jour, Marine Le Pen s’est rendu compte que la détermination de son parti à vouloir sortir de la monnaie unique était contre-productive et lui aliénait des voix. Son électorat n’y trouvait plus rien à redire. Alors marche arrière toute. L’extrême droite a oublié l’idée de sortir de l’euro… sans abandonner pour autant le concept de «préférence nationale», il ne fallait pas exagérer non plus. Pour se distinguer de la droite classique, lui restait le créneau des classes populaires que le vieux Le Pen avait commencé à investir. Facile, celles-ci se sentent abandonnées par tout le monde : la droite qui s’intéresse essentiellement aux riches et la gauche, qui privilégie les sujets de société et la lutte contre le dérèglement climatique. Alors le parti a tout misé sur cet électorat qui avait permis en 1995 à Jacques Chirac de faire une époustouflante remontada face à un Edouard Balladur parti favori, et d’accéder à l’Elysée. C’est ainsi qu’aux deux dernières présidentielles, Marine Le Pen a tenté de se muer en pasionaria du «peuple», ce qui lui a permis de réaliser de bons scores. Sauf que, là encore, la réalité est toute autre. Il suffit de gratter un peu le vernis pour comprendre que le «peuple» n’est, au RN, qu’un slogan pour appâter le chaland. Nous avons enquêté sur le terrain, notamment à Fréjus (Var), mairie RN, et le constat est accablant. Là-bas, le mot «social» est bien souvent confondu avec «socialiste» et à ce titre voué aux gémonies. A Hayange (Moselle), le maire RN fait une fixette sur le Secours populaire à qui il supprime peu à peu tous les moyens. Et les exemples de ce type sont légion. Si l’on avait encore un doute, il suffit de regarder l’exemple italien où le gouvernement extrême droitier de Giorgia Meloni, moins d’un an après son arrivée au pouvoir, n’a pas trouvé mieux que de supprimer l’équivalent du RSA. Pour l’extrême droite, les pauvres, ça va bien cinq minutes, et uniquement en campagne électorale.

 

 

Tag(s) : #Actualité politique et sociale, #Republique
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