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Après une action contre des établissements de la BNP à Dijon, les grands moyens ont été déployés : plus de 40 heures de garde à vue pour sept activistes d’Extinction Rebellion, trois mois de contrôle judiciaire avec interdiction de se contacter. La justice a finalement condamné les militants à une amende avec sursis.

Floriane Louison

Dijon (Côte-d’Or).– Sept prévenu·es se présentent devant la juge en fin de journée ce mercredi 16 août. Les militant·es sont jeunes, entre 20 et 35 ans, membres d’Extinction Rebellion, accusé·es pour une action militante contre la BNP. Dans la routine estivale des comparutions immédiates du tribunal judiciaire de Dijon (Côte-d’Or), leur procès dénote.

Des affaires de violences diverses sur fond d’addictions et de vies cabossées viennent de se succéder à la barre. Elles ont été expédiées avec les moyens du bord d'une justice débordée et aux moyens insuffisants. Pour ces sept-là, elle va prendre un peu plus de temps.

La juge aligne le groupe devant elle égrenant les parcours de chacun, beaucoup plus lisses que ceux qui ont défilé avant eux. Les casiers judiciaires sont tous vierges et les profils exemplaires. La première est en cinquième année de médecine, trois autres en école d’ingénieur, il y a un agent hospitalier, une directrice de crèche et la dernière complète son diplôme de sage-femme avec des études de philosophie.

Toutes et tous travaillent ou veulent travailler dans un métier « utile », souvent le soin ou l’agriculture. Politisés, éco-anxieux, activistes climatiques, ces militants sont aussi multi-impliqués dans la vie associative locale, le sport, la vie étudiante voire même le scoutisme pour l’une d’entre elles.

Le 10 mai dernier dans la soirée, ils ont inséré des cartons imbibés de colle dans deux distributeurs de la BNP à Dijon. La colle utilisée n’a pas eu le temps d’agir et un rapide nettoyage a suffi pour remettre en service les machines quelques heures plus tard. La BNP, partie civile au procès, ne demande d’ailleurs pas de dommages et intérêts, hormis l’euro symbolique de son « préjudice moral ». De manière un peu plus spectaculaire, la façade d’une banque dijonnaise a été taguée pour dénoncer les financements de la BNP dans les énergies fossiles et plus particulièrement ses investissements dans le groupe pétrogazier TotalEnergies.

Cette opération nationale, déclinée par vingt-cinq groupes locaux d’Extinction Rebellion, avait dans le viseur le nouveau projet pétrolier de TotalEnergies en Afrique de l’Est, Eacop« Une bombe climatique », selon Julia Steinberger, auteure principale du Giec (le groupe d’expert intergouvernemental sur l’évolution du climat) venue témoigner à la barre en faveur des activistes.

La multinationale prévoit de creuser quatre cents nouveaux puits de pétrole en Ouganda et de construire le plus grand oléoduc chauffé du monde. « Les infrastructures pétrolières existantes sont déjà suffisantes pour détruire l’accord de Paris [signé par la France en 2015, il prévoit de contenir le réchauffement climatique au-dessous des 2 degrés – ndlr] », explique la scientifique. En construire de nouvelles est incompatible avec « un monde habitable ».

La police était au courant de l’action et les jeunes activistes ont été interpellés dans la foulée. M. a été arrêtée en flagrant délit de réalisation d’un pochoir jaune avec l’inscription « Carnage Total ». Sa copine venait de recouvrir la façade de la banque de traînées noires avec « une sorte de lance » selon les enquêteurs. « L’idée était de faire une légère perturbation pour faire passer l’information au maximum de gens sur le projet Eacop », explique cette dernière. Elle est accusée, comme les autres, de « dégradations lourdes avec circonstances aggravantes ».

Les activistes ont été placé·es plus de 40 heures en garde à vue, au-delà de la durée de principe de 24 heures, et leurs domiciles perquisitionnés menottes aux mains. « Nos voisins ont pensé qu’il y avait eu un crime », chuchotent les parents d’un prévenu, tout éberlués de se retrouver dans le public d’un tribunal à écouter leur enfant « aux bonnes notes qui a toujours été sage » répondre aux questions de la juge.

Les résultats des investigations policières sont décrits en détail par le tribunal et les moyens déployés ont donné de maigres résultats. Le plus gros butin sera retrouvé chez M. : « Quatre autocollants des Soulèvements de la Terre et des tracts d’Extinction Rebellion. » Le public étouffe un rire, rabroué par la juge qui demande le silence.

Pendant trois mois, le groupe a eu interdiction de se voir et de se contacter. « Ce sont des amis, certains très proches, il y a un couple », explique une militante du mouvement lors d’une prise de parole devant le tribunal. « Du jamais vu à Dijon », dénonce-t-elle devant la centaine de manifestant·es réuni·es malgré la date au cœur du mois d’août et les orages qui grondent. 

Je ne vois pas d’autres solutions que la désobéissance civile non violente.

F, étudiante en école d’ingénieur agronomique dans sa déclaration au tribunal.

« Au-delà de l’appréhension de me retrouver ici aujourd’hui, je suis dépassée, commence F, étudiante en école d’ingénieur agronomique dans sa déclaration au tribunal. Cette action j’y suis allée pour informer les gens et je ne pensais pas finir là. » Fille de la directrice régionale de l’Ademe – l’agence publique en faveur de la transition écologique – elle décrit une mère qui travaille beaucoup pour « un résultat insuffisant ».

Trouver d’autres méthodes 

Elle se décrit elle-même dans l’action légale quotidienne : « Je vote, je manifeste, je fais plein de gestes au quotidien, des ateliers, des discussions, j’étudie l’agronomie, l’alimentation qui est la base de toute vie humaine. Tout cela est insuffisant. Je milite dans une association qui promeut l’agroécologie mais qu’est-ce que cela vaut si Total construit Eacop ? Je ne vois pas d’autres solutions que la désobéissance civile non violente. »

Ils racontent la même histoire avec des discours plus ou moins aguerris ou déstabilisés par la pression du tribunal. « J’ai organisé pendant deux ans des marches du climat mais on touche plus de gens en taguant la BNP du centre-ville », poursuit une autre. « Cela fait 70 ans qu’on communique sur les dérèglements climatiques et ce mois de juillet vient d’être le plus chaud de tous les temps donc c’est cela le constat : toutes les autres manières de militer ont été testées depuis une époque où je n’étais pas encore née. Nous, il faut qu’on trouve d’autres méthodes. »

Ils parlent, et leurs avocats avec eux, de liberté d’expression, de légitimité de la désobéissance civile face à l’urgence climatique, de reconnaissance du délit politique. « Mais stop !, s’agace l’avocate de la BNP qui s’annonce brève pour sa plaidoirie en raison de la température étouffante du tribunal.

 « Cela doit être la réchauffement climatique !, ironise-t-elle, sans faire rire personne dans la salle. Comment allez-vous demander aux Français du jour au lendemain de ne plus rouler en voiture, de ne plus se chauffer au fioul ? Mais je ne vais pas rentrer dans ce débat. Vous avez un milliard de façons de vous exprimer et c’est la facilité que vous choisissez avec un délit de droit commun en vous en prenant au bien de la BNP. Détruire le bien d’autrui, c’est violent. »

« Le moyen d’action est illégal », enchaîne le procureur qui demande au tribunal de condamner les activistes mais en pesant sa charge. « Une minorité quand bien même sympathique, quand bien même détenant la vérité, peut-elle imposer ses modes d’action à la société ? Au motif de l’urgence climatique devons-nous renoncer à l’état de droit ? », interroge-t-il. Il propose une peine de travaux d’intérêt général. « Il y a des TIJ à la SPA ou pour restaurer les rivières, c’est aussi une belle façon d’œuvrer pour l’environnement. »

Il propose que cette condamnation ne soit pas inscrite au casier judiciaire pour ne pas compromettre des avenirs prometteurs ou des carrières essentielles à l’hôpital ou en crèche. « Et j’oubliais, dit-il en se relevant de sa chaise après ses réquisitions : « confiscation des scellés : une perruque, une colle et des tracts », lâche-t-il en souriant du ridicule de sa demande avant de reprendre son éventail pour se rafraîchir.

Après 40 heures de garde à vue, trois mois de contrôle judiciaire et plusieurs heures d’audience, le verdict tombe : l’affaire est requalifiée en contravention pour dégradation légère et les activistes écopent d’une amende avec sursis. Les tagueuses de la BNP sont aussi condamnées à réparer le préjudice matériel causé à la façade bancaire.

Le préjudice moral de la BNP, lui, n’est pas retenu. Un représentant d’Extinction Rebellion souffle : « C’est plutôt une bonne nouvelle sur la justice. » Pour le reste, il reste inquiet : « Toute cette mascarade, c’est pour dégoûter la jeunesse militante de poursuivre les actions. »

Floriane Louison

 

Tag(s) : #Actualité politique et sociale
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