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Face aux émeutes, élus locaux, responsables associatifs et militants des quartiers populaires partagent le même constat : les services publics sont défaillants pour les habitants des quartiers populaires – comme ruraux d’ailleurs - et la police y est trop souvent perçue comme hostile et raciste...

« Les mêmes causes produisent les mêmes effets. Les problèmes sociaux sont toujours les mêmes et s’accumulent. La pauvreté, le chômage, la précarité, l’échec scolaire et la déscolarisation sont des causes structurelles, auxquelles se superposent des causes ethnoraciales, avec ce sentiment d’exclusion, le racisme, l’islamophobie, les discriminations de tous ordres, notamment les contrôles discriminatoires dits au faciès.

Le sentiment de discrimination, avec les difficultés de trouver un travail stable, se nourrit de la logique de ghettoïsation que la politique de rénovation urbaine n’est pas arrivée à casser.

Et puis il y a des causes politiques, c’est-à-dire que la politique de la ville, longtemps un millefeuille très complexe, a été complètement abandonné depuis François Hollande, par l’enterrement du rapport Borloo par Macron.

Parmi les causes plus conjoncturelles, on peut citer la loi de 2017 sur laquelle je ne vais pas épiloguer mais qui est une boîte de Pandore, en ce sens qu’elle élargit de façon tellement floue les conditions d’utilisation des armes par les policiers que le nombre de tirs pour refus d’obtempérer double et entraîne deux fois plus de décès depuis 2020 que la moyenne observée dans la décennie 2010, comme l’a dénombré Basta ![1] »

L’autre facteur qui joue enfin, c’est l’extrême-droitisation du pouvoir.

 

Nous sommes dans un « moment fasciste » en France. Sans reparler de la séquence 2016-2023, on peut le mesurer au positionnement politique des syndicats de police. Après la Seconde Guerre mondiale, ils étaient proches du Parti communiste, puis du Parti socialiste dans les années 1980, et aujourd’hui du Rassemblement national, ou parfois pire. Les réactions d’Alliance et de France Police qui applaudissent la mort de Nahel sont ignobles. Et en même temps, elles montrent combien sécurité publique et maintien de l’ordre sont cogérés par les syndicats majoritaires autant que par le ministère de l’intérieur. On ne les entendait pas à ce point-là en 2005, et la pression de ces syndicats, leur lobbying à l’origine de la loi 2017, était beaucoup moins forte.

Ces violences rendent visibles les problèmes publiquement....

On a beaucoup filmé et utilisé les smartphones pour faire le contre-récit des violences policières, pour montrer ce que, évidemment, les chaînes de « désinformation continue » ne montraient pas.

Maintenant, la police doit s’y faire, difficile de dissimuler les comportements violents et les mensonges.

Il est évident aussi que des réseaux se sont constitués, en liaison dans toute la France. Sont-ils organisés, dans quel but. Pas encore politique ? Jusqu’à quand ? Au profit de qui ? Ce sont des questions que l’on peut légitimement se poser.

Les jeunes des quartiers populaires s’attaquent aux services publics parce qu’il s’agit de la seule trace qui représente le pouvoir de l’État avec la police. Les détruire est une réponse, même si elle se situe dans une logique d’autodestruction qu’il est difficile de comprendre pour le citoyen moyen. Est-ce pour ce faire entendre ? Ou par une sorte de loi du talion : vengeance contre l’Etat colonial ?

Pour Denis Merklen, le ciblage des institutions publiques lors d’épisodes de soulèvements urbains est bien de nature politique, et même en quelque sorte au carré. « Aujourd’hui, affirme-t-il, les chercheurs en sciences sociales – sociologues, politistes, anthropologues – sont d’accord pour y voir au contraire un geste éminemment politique. Pourquoi cela ? Parce que les personnes vivant dans les quartiers populaires, plus que les autres, sont en contact permanent avec des institutions publiques pour résoudre les problèmes de leur vie quotidienne. S’en prendre à elles est une manière de signifier ce face-à-face. Ce n’est pas un déficit de politisation, mais un changement dans la politicité populaire – c’est-à-dire de la manière de faire de la politique par les catégories populaires – par la territorialisation des conflits sociaux[2]. »

En raison du délitement des services publics,

Pour le sociologue, les émeutiers manifestent ainsi « le conflit dans lequel ils sont pris quotidiennement. Aux guichets des administrations, lieu principal des interactions, les exclusions et les difficultés d’accès prennent la forme d’un mépris fortement ressenti ».

«...Les services publics sont leur seul recours pour leurs besoins les plus élémentaires, liés à l’éducation, à la santé, au transport, au logement, à l’énergie et à la culture. Quasiment tous les aspects de leur vie quotidienne sont entre les mains d’institutions publiques. C’est une situation paradoxale, car cela tient aussi à la solidité et à la pénétration de notre État social qui assure tant bien que mal des filets solides de protection ».

Viser les institutions publiques - en partie parce qu’il en existe encore - c‘est paradoxalement parce qu’elles restent un espoir.  C’est le système de la société française pour lutter contre les inégalités sociales et à assurer une meilleure protection sociale, surtout dans les quartiers populaires et immigrés les plus ségrégués, mais qui produit simultanément un fort sentiment d’exclusion[3]...

Beaucoup d’habitants ne peuvent plus compter sur leur salaire et n’ont plus que les services publics – et non plus les employeurs - comme interlocuteurs de leur situation sociale. Ce qui peut amener à détruire une salle des fêtes plutôt que séquestrer un patron…

La Guerre est-elle déclarée ?

Ces tirs de mortiers... est ce que la guerre est déclarée à une police meurtrière aux ordres d’un pouvoir uniquement répressif, aiguillonné par l’extrême-droite, des partis fascisants comme de ceux de la droite qui n’a plus rien de Républicaine aux mains de Ciotti.

Je ne vais pas excuser ces violences excessives, les voitures et bâtiments publiques brûlés dont sont victimes avant tout les habitants des quartiers populaires dont sont issus ces jeunes révoltés, mais en ripostant avec des armes comme les mortiers et feux d’artifices, ils ne font que répondre à celles utilisées par les forces de répression, grenades, flash-ball, LBD, qui blessent, éborgnes, tuent, comme les armes à feu. Une escalade mortelle ! Utilisées aussi contre les mouvements sociétaux, les associations de défense de l’écologie et du climat.

Des pratiques condamnées partout, même par l’ONU...

Il existe un lien compliqué – peut-être un rapport de classe et de race entre les militants associatifs, issus de la petite bourgeoisie intellectuelle et les habitants, qui peuvent être militants par ailleurs, des quartiers populaires et racisés. Un enchainement solidaire de « race » plus que de classe, tellement l’intégration est ratée, en particulier pour l’adhésion aux valeurs de la République laïque, démocratique et sociale...

La méconnaissance de l’histoire coloniale et de l’immigration des banlieues, complique le franchissement de la frontière qui sépare les uns et les autres.

Et si,

Que se passerait il si les paysans, les ouvriers et les étudiants coopéraient avec la jeunesse racisée des quartiers populaires, dont les parents d’ailleurs sont pour certains, de luttes pour les retraites quand ils ont syndiqués, ou dans des associations pour le logement social et autres, et que cette diagonale de la rage fasse émerger « un front de classe ».

Dans les faits, cette solidarité est compliquée à mettre en œuvre et à faire durer, elle peut contribuer à faire « bouger les lignes » face à un pouvoir inflexible.

Ce serait pourtant une bonne manière de mettre en échec la propagande raciste du RN et de Zemmour ....

Il serait utile pour les partis de la NUPES d’aller militer dans les quartiers, apporter des explications et des solutions face aux questions concernant l’immigration, l’intégration, les droits, l’emploi, l’éducation, le logement, autant que pour le féminisme et les LGBTQ...

Allain GRAUX

 Le 30.06.2023

 

[1] Michel Kokoreff, professeur des universités à Paris VIII, auteur notamment de Sociologie des émeutes (Payot, 2008) et de La Diagonale de la rage (Divergences, 2022) dans Mediapart du 30.06.2023

[2] Pourquoi les services publics sont pris pour cible - Joseph Confavreux – Médiapart - 29 juin 2023

[3] sources : Hugues Lagrange et Marco Oberti

Tag(s) : #Actualité politique et sociale
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