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La chute de Léon BLUM

Dans A l’échelle humaine, Léon Blum explique les causes de la défaite de 1940. Son analyse recoupe de nombreuses thèses de L’Étrange défaite de Marc Bloch[7], autre livre extraordinaire, rédigé de juillet à septembre 1940. Mais peut-être sonde-t-elle plus profondément les eaux troubles des années 1930. Car la victoire électorale du Front populaire, en avril et mai 1936, qui porte Léon Blum à la présidence du Conseil dès le 4 juin, est rapidement combattue, de façon haineuse et sordide, antisémite bien-sûr, par la presse de droite et d’extrême-droite, L’Action française, L’Écho de Paris, L’Ami du peuple, Le Jour, Candide, Gringoire, Je suis partout…, jusqu’au forfait par démission de Blum le 29 juin 1937.

Le 10 mars 1938, le gouvernement Chautemps, qui a succédé à celui de Léon Blum, tombe à son tour. Le lendemain le parti nazi autrichien lance son coup d’État et Hitler annexe le pays : c’est l’Anschluss. Le 13 mars, Blum est rappelé pour former un nouveau gouvernement. Convaincu que seul le rapport de force peut faire plier Hitler, il propose de substituer à la majorité de Front populaire une majorité d’union nationale avec la droite, avec comme premier objectif le renforcement de l’armement français. Mais, à l’exception de Mandel, Reynaud et quelques autres, la droite refuse l’union. Le deuxième gouvernement de Blum tombe donc le 10 avril. Le président du Parti radical, Édouard Daladier, prend le pouvoir et s’allie rapidement avec la droite. Nous connaissons la suite : les « décrets misère » de novembre 1938, liquidant les acquis sociaux du Front populaire, la répression féroce des grèves qui s’ensuivent, les accords de Munich, le pacte germano-soviétique, l’invasion de la Pologne, la drôle de guerre, la débâcle, le vote des pleins pouvoirs constituants à Pétain, le 10 juillet 1940, la Collaboration des uns, la Résistance des autres, dont Léon Blum…

1938, Charybde !

« Au début de la nouvelle année 1938, Blum est accablé, raconte Milo Lévy-Bruhl, dans sa présentation de A l’échelle humaine. L’état de santé du grand amour de sa vie – Thérèse Pereyra – ne cesse de se détériorer. (…) Le 22 janvier 1938, au lendemain d’une crise ministérielle qui a vu le ministère Chautemps tomber avant d’être réinvesti, Thérèse Blum meurt d’une crise cardiaque. Abattu, Blum adresse début février un petit billet à son ami Lucien Lévy-Bruhl : ‘‘Mon Dieu, que de chagrin, que de misères ! Pour moi, je n’en puis plus, et je ne sais quand la force me reviendra. Votre malheureux ami, Léon Blum.’’. »[8]

1940, Scylla !

Le 10 juillet 1940, n’écoutant pas toutes celles et tous ceux - dont le président américain Roosevelt – qui lui recommandent de quitter déjà la France, Léon Blum est à Vichy. Depuis deux jours, il tente de mobiliser l’ensemble des parlementaires socialistes contre Laval et ses manœuvres, menaces et promesses qui préparent « le dépôt des prérogatives constituantes entre les mains du seul Maréchal Pétain ». Au moment du scrutin qui met à l’ordre du jour l’abolition de la République, « Blum s’empresse de voter contre (les pleins pouvoirs constituants à Pétain). Sans attendre les résultats, il quitte la salle, le casino et la ville (de Vichy). Sur la route du retour qui le ramène près de Toulouse, (…) on l’informe que quatre-vingt-dix parlementaires socialistes ont voté le projet de Laval, que six se sont abstenus et que seuls trente-six socialistes font partie des quatre-vingts parlementaires qui, sur plus de six cent soixante-dix présents, se sont opposés à la dictature. La voiture roule. La France, la République, le Parti socialiste, l’œuvre de 1936, tout est détruit. Le 11 juillet 1940, Blum chancelle et le pire est à venir. »[9]

***

De 1938 à 1940, de Charybde en Scylla, je n’ai pas trouvé de meilleur guide pour m’éclairer sur cette chute vertigineuse que Michaël Fœssel, philosophe et historien né en 1974, ex-maître de conférences à l’université de Bourgogne, aujourd’hui professeur de philosophie à l’École polytechnique, conseiller à la direction de la revue Esprit, directeur de la collection « l’Ordre philosophique » aux excellentes éditions du Seuil, auteur de livres marquants, dont un sombre et clairvoyant Etat de vigilance[10]…

Oui, je n’ai pas trouvé, parmi une bibliographie considérable sur les années 1930[11], de lecture plus puissante que son livre Récidive ; 1938, publié aux Presses universitaires de France (PUF) en 2019, puis en mars 2021 pour la deuxième édition enrichie d’une postface.

[7] Marc Bloch (préface de Georges Altman), L’Étrange défaite : témoignage écrit en 1940, Société des Éditions « Franc-Tireur », 1946 ; (avec une préface de Stanley Hoffmann) Gallimard, coll. « Folio Histoire », 1990 ; et dans Marc Bloch, L’Histoire, la guerre, la Résistance, édition établie par Annette Becker et Étienne Bloch, Gallimard, coll. « Quarto », 2006, pp. 519 à 653.[8] A l’échelle humaine, présentation de Milo Lévy-Bruhl, Le Bord de L’eau, 2021, pp. 18 et 19.[9] A l’échelle humaine, présentation de Milo Lévy-Bruhl, Le Bord de L’eau, 2021, pp. 28 et 29.[10] Le Bord de l'eau, coll. « Diagnostics », 2010 ; nouvelle édition, Le Seuil, coll. « Points », 2016.

 

Tag(s) : #Actualité politique et sociale
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