Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Souvenirs de l’actualité politique des temps passés : 

le dimanche-10-mai-1981

et après ...

 

J’étais en centre de rééducation, après deux mois d’hospitalisation, la jambe embrochée et suspendue à six kilos de fonte...

Mon amie était venue me chercher pour aller voter, me déplaçant avec des béquilles. Je n’avais donc pas pu participer à la campagne électorale que je suivais néanmoins avec passion, à la radio, dans la presse.

Entre les deux tours, j’avais suivi les débats, la réplique cinglante de Mitterrand : « Vous êtes l’homme du passif », réponse dans le temps à Giscard qui lui avait asséné : « Vous êtes l’homme du passé !» Dans les journaux télévisés, les affiches électorales « La force tranquille » avec le clocher d’église en arrière-plan, étaient marquantes. Le Figaro, furieux du succès mitterrandien, écrivait que les tanks soviétiques défileraient bientôt sur les Champs Élysées, du fait du ralliement communiste à la candidature Mitterrand... A cette époque, moi je lisais le Matin de Paris, un quotidien de sensibilité socialiste où j’avais même été publié pour un très court entrefilet sur l’Erythrée où il y avait la guerre pour l’indépendance. Heureux de pouvoir lire un journal de ma sensibilité.

Je me souviens du crâne dégarni du vainqueur sur l’écran de la télévision de ma chambre, à 20 heures : était-ce Giscard ou Mitterrand ? Deux calvities identiques. Puis, le portrait s’est lentement déroulé et le visage de Mitterrand est enfin apparu à l’écran. Explosion de joie ! Si j’avais pu, j’aurais bondi de mon lit...

Je me souviens aussi du « vote révolutionnaire » prêté à la direction du PCF selon laquelle elle avait incité certains de ses militants, en sous-main, à voter Giscard d’Estaing. Ayant quitté le PCF, seulement quatre ans plutôt à la suite de la rupture du programme commun en août 1977, je savais par les contacts conservés que cela était vrai. J’avais écrit une diatribe très anti PCF, tellement cette attitude très stalinienne me révoltait. Déjà, je n’avais adhéré officiellement au Parti qu’en 1964 à la mort de Thorez... D’ailleurs par une circonstance fortuite, je me suis trouvé présent à Varna en Bulgarie, le jour où il est arrivé, mort sur son bateau russe de croisière, et moi vivant. Je me rendais à un symposium de spéléologie avec des amis – membres de l’UEC- et ma cousine Brigitte.

J’étais par ailleurs syndicaliste, secrétaire du syndicat des ouvriers de ville des ascenseurs. La plupart de mes camarades de la CGT étaient communistes. N’ayant pas trouvé d’amis ouvriers au PSU, j’ai adhéré naturellement, à ce moment là, au parti le plus proche de mon milieu et de mes convictions, l’hypothèque stalinienne me paraissant levée avec la disparition de « l’enfant du peuple » après celle du « petit père » ! L’évolution vers l’unité avec un PS transformé par Mitterrand, avec l’appoint comme l’appui de la gauche socialiste de Chevènement et de Jean Poperen. J’avais un ami socialiste popereniste, connu aux EEDF[1], secrétaire fédéral du Maine et Loire, et j’étais abonné à Synthèse –Flash, leur journal.

Giscard à la télévision, le 21 mai 1981, disait « Au revoir » d’un ton qu’il voulait grave et pesant, se levait et tournait le dos à l’histoire en marche. Un plan fixe resta longtemps sur la pièce vide.

Jack Lang a déclaré : « Le 10 mai, les Français ont franchi la frontière qui sépare la nuit de la lumière. »

Ce fut la cérémonie au Panthéon le 21 juin, Mitterrand, cheminant seul, une rose à la main. Lyrique et symbolique cérémonie.

La nomination de Pierre Mauroy, homme de la droite social-démocrate, au poste de premier ministre.

Membre du Ceres et proche de Poperen au sein du PS, cela ne m’a pas réjoui.

L’entrée au gouvernement de quatre ministres communistes, un mois après l’intronisation du premier gouvernement Mauroy me laissait présager des lendemains qui chantent.

Ce fut d’abord le tourbillon des réformes sociales du gouvernement : nationalisations, création d’un impôt sur la fortune, augmentation du SMIC et des allocations, retraite à 60 ans, cinquième semaine de congés payés, semaine de 39 heures, lois Auroux, abolition de la peine de mort, abolition de la Cour de sûreté de l’État et des tribunaux militaires, dépénalisation de l’homosexualité, décentralisation, libéralisation de l’audiovisuel, régularisation des étrangers en situation irrégulière.

Il faut se rappeler cela aujourd’hui, alors que le Président Emmanuel Macron, ex-ministre d’un gouvernement soi-disant socialiste, détruit systématiquement ce qui est le sel de la société républicaine et sociale française, toutes les réformes fondamentales depuis le Front populaire, la libération et 1981...

Le dérapage de François Mitterrand vers le libéralisme a commencé dès 1982

Que la gauche ait pu se réunir sur la base d’un programme commun et arriver en tête d’une élection présidentielle, c’était une grande joie pour le peuple de gauche, y compris la masse des communistes, malgré certains dirigeants staliniens.

Le Parti communiste avait contribué pour sa part à l’origine du programme commun. Il avait fait son propre programme mais à vocation générale : “changer de cap”, ce qui avait entraîné une démarche identique de la part du Parti socialiste avec son programme à vocation commune : “changer la vie”.

Il s’était aussi avancé sur la voie d’un « socialisme de démocratie avancée ».

La direction du PCF pensait avoir le même niveau électoral que le PS. Mais des élections partielles ont montré que c’était surtout le Parti socialiste qui tirait bénéfices de cette union.

En 1982, on est tombé dans un monde qui venait d’amorcer une nouvelle phase du capitalisme : le néolibéralisme illustré par les élections de Margaret Thatcher en 1979 en Grande-Bretagne, de Ronald Reagan en 1981 aux Etats-Unis et d’Helmut Kohl en 1982 en Allemagne. L’élection de François Mitterrand s’inscrivait dans le paysage à contre-pied du néo-libéralisme.

Dans un monde de plus en plus interdépendant – le début de la globalisation - il était difficile qu’il y ait quelqu’un qui déroge à la règle qui s’imposait peu à peu : celle d’un libéralisme se libérant de toutes les contraintes, notamment sociales. Une majorité de Français avaient voulu changer parce qu’ils en avaient assez du gaullisme, mais étaient-ils prêts pour la révolution économique et sociale que pouvaient engendrer les 110 propositions de Mitterrand ? Elles étaient issues, pour une part, du Programme commun de gouvernement qui avait échoué aux législatives de 1978.

Il y a eu une soumission très rapide du Parti socialiste à la règle générale Thatcher-Reagan-Kohl.

Le tournant de la rigueur néolibérale de François Mitterrand

Le dérapage économique de François Mitterrand vers le libéralisme a commencé dès 1982 et s’est acté en 1983. Avec la loi du 11 février 1982, on arrive aux 100 nationalisations qu’il s’était engagé à réaliser. François Mitterrand au pouvoir, il y eu les deux premières années, puis il y eut le néolibéralisme et l’intégration dans l’Union européenne qui n’arrivait pas à se faire.

Ce qui est intervenu surtout, c’est que Jacques Delors, en mai 1982, à Bruxelles, a conclu un accord qui, en échange d’un prêt de l’Union européenne de 4 milliards d’ECU, s’est engagé en France à désindexer les salaires par rapport aux prix.

L’inéluctabilité économique du tournant de la rigueur apparaît illusoire.

Les socialistes voulaient sincèrement le pouvoir, mais la majorité acceptait économiquement le capitalisme pour opérer la meilleure redistribution possible.

François Mitterrand avait quand même dit : “quand on n’est pas hostile au capitalisme, on n’a pas le droit de se dire socialiste.” »

« Les données de la période n’induisaient pas forcément de rompre de façon aussi radicale avec les priorités de 1981, les très importantes réformes mises en place. La « contrainte extérieure » n’était réelle que dans une certaine mesure et aurait pu être affrontée en faisant des choix différents. L’invocation de cette contrainte s’est inscrite dans un récit catastrophiste de l’expérience socialiste en cours, pour mieux justifier une politique payée par l’envol du chômage de masse, la désindustrialisation durable du pays et une dégradation de la position du salariat vis-à-vis du capital – soit l’inverse des attentes créées par la campagne électorale [2]». Cela consistait à redonner la priorité au capital sur le travail, y compris par l’usage de l’État. « Les décisions les plus néolibérales, en matière industrielle et financière, ne sont prises qu’à partir de l’année suivante, avec le gouvernement de Laurent Fabius ». Aucune réelle opposition aux politiques néolibérales ne sera désormais possible, malgré les protestations de la gauche au sein du PS. Je me souviens de nos sévères empoignades dans ma section socialiste avec les partisans de la ligne Mauroy, puis Fabius. Les réformes sociales de 1981 étaient conservées, mais dans un cadre entièrement changé dont nous sentions le danger. On subordonnait la volonté politique aux exigences économiques des milieux d’affaires. On nous disait que la politique de soutien à la demande lancée en 1981 était à contretemps, en contradiction avec la « réalité économique », obligeant à la dévaluation de la monnaie.

Pourtant, la relance n’a guère été massive. « L’historien Jean-Charles Asselain a même parlé de « relance naine ». Au total, elle représente 1,7 % du PIB, soit plus de deux fois moins que la relance de Jacques Chirac, alors premier ministre, en 1975 (3,5 % du PIB). Elle s’est principalement traduite par les revalorisations du Smic de 8 % et des minima sociaux de 25 %, ainsi que par l’embauche de 170 000 fonctionnaires[3].

Le déficit public se dégrade, mais sans atteindre des niveaux intenables : 3,5 % en 1983, avec une dette publique proche de 20 % du PIB. Pas de réel risque de défaut de paiement. Au même moment, la dette britannique s’élève par exemple à presque 40 % du PIB...

Mais se pose la question du maintien de la monnaie dans le SME. En fait, la faiblesse du franc, c’est surtout le faible niveau du Mark que Bonn ne veut pas réévaluer pour « ne pas payer les dépenses françaises. »

La réalité en 1982, c’est que la France est la locomotive économique de l’Europe. Sa croissance du PIB est de 2,5 %, soit davantage que le Royaume-Uni (2 %) et que l’Allemagne et les États-Unis qui sont en récession (respectivement -0,4 % et -1,8 %). Prétendre que la politique française était à contretemps n’avait pas de sens. La France de 1983 n’était pas dans une impasse économique. Mais la chute du Franc a mené la France à prendre des mesures d’austérité inadaptées.

Les choix tactiques avaient fait naître des espoirs allant au-delà de ce que certains jugeaient raisonnable d’accomplir. Et Mitterrand, à l’image de De Gaulle, peu économiste, pensait que l’intendance suivrait... Mais, les personnes nommées pour élaborer les décisions économiques n’ont aucune intention révolutionnaire, ni de stratégie ferme pour réaliser la transformation de l’économie.  Il y a des affirmations mais pas de véritable intention de sortie du capitalisme. La sortie de cette ambiguïté ne se fera qu’en abandonnant les ambitions les plus transformatrices de l’ordre économique et social.

« Les nationalisations, la maîtrise du crédit et les investissements publics auraient pu constituer une réponse adaptée à la nature structurelle de la crise du capitalisme, tout en servant les intérêts de la majorité sociale. Mais cela supposait d’affronter des intérêts puissants avec un dessein clair, et d’être aiguillonnés par des forces politiques et sociales avec un haut degré de conscience des enjeux[4] ». 

Les réformes de 1981/82

Le 16 janvier 1982, une cinquième semaine de congés payés et la réduction de la semaine de travail à 39 heures.

Les lois de nationalisation de 1982, cinq groupes industriels, trente-neuf banques et deux compagnies financières passent alors sous le contrôle de l'Etat.

Les lois Auroux sur le droit du travail sont adoptées en 1982, avec un ensemble de mesures pour améliorer les relations de travail dans l'entreprise. Elles prévoient notamment des négociations annuelles sur les salaires et l'organisation du travail, la création des comités d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT), le droit de retrait pour les salariés, une dotation minimale pour les comités d'entreprise et la protection des salariés syndiqués.

Dans la continuité des lois Auroux, le 25 mars 1982, le gouvernement abaisse, par ordonnance, l'âge de la retraite à 60 ans pour 37,5 années de cotisation alors qu'il était fixé à 65 ans depuis les ordonnances de 1945.

Le premier acte de la décentralisation, en 1982, les lois Defferre, transfèrent l'exécutif départemental du préfet au président du conseil général et faisant de la région une véritable collectivité territoriale avec des membres élus.

Le remboursement de l'IVG

Après une première dévaluation du franc en octobre 1981, Pierre Mauroy doit annoncer en juin 1982 un plan de rigueur prévoyant le blocage des prix et des salaires. Un revers économique, et en 1983, Mauroy accentue le plan d'austérité. C'est le début du "tournant de la rigueur".

Allain Louis Graux

   10 mai 2021

Nota : merci à Fabien Escalona et Romaric Godin, de Médiapart, pour leur involontaire collaboration économique ...

 

[1] Eclaireuses et Eclaireurs de France – Mouvement de scoutisme mixte et laïque.

[2] 1981-83: pourquoi le renoncement économique n’était pas inéluctable -9 MAI 2021 PAR FABIEN ESCALONA ET ROMARIC GODIN – Médiapart

[3] idem

[4] idem

Tag(s) : #POLITIQUE, #actualité
Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :