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Certains de nos concitoyens, exaspérés par la politique libérale et de droite et de gauche menée par les précédents gouvernements de droite come soi-disant de gauche, ont pu croire, de bonne foi, qu’Emmanuel Macron romprait « avec le présidentialisme, dans une conception libérale au sens anglo-saxon, refonder l’exercice du pouvoir en France, de sorte qu’il soit plus conforme à ce qu’est une véritable démocratie[1] ». Cependant, il n’a été élu que par défaut, ses partisans du 1ier tour ne sont que 18,19 % des inscrits, 24,01 % des suffrages exprimés. Au second tour, il a « profité non pas d’un vote d’adhésion, mais d’un vote de rejet de sa rivale d’extrême droite, Marine Le Pen ». C’est-à-dire que plus de 80 % des Français ne sont pas des adeptes de son programme ultra-libéral, mené au pas de charge. A peine élu, il aligne les lois, à marche forcée, à couper le souffle et le sommeil des députés. Toutes dans le sens néolibéral, oubliant le fameux « en même temps », et de droite et de gauche, pour mener une politique 100% à droite et de droite. Ce qui est contraire à l’esprit républicain qui doit tenir compte de l’opinion des uns comme des autres, et non imposé les desideratas d’une minorité. D’autant plus que dans cette minorité, certains se sentent vite abusés. Comme l’écrit Laurent Mauduit dans Médiapart : certains ont pu penser que le libéral Emmanuel Macron, jeune et dynamique patron d’une « start-up nation », le serait évidemment en économie, mais tout autant en politique. Ils ont pu penser qu’il aurait la volonté de bousculer ou au moins de dépoussiérer les institutions de la Ve République pour sortir des relations politiques verticales et inventer des relations plus horizontales – en un mot, plus collectives. Ils ont pu espérer qu’il sortirait de l’exercice solitaire du pouvoir pour mettre plus de collectif dans la vie publique. Ils ont pu croire qu’il allait bousculer les syndicats, tout en les respectant et en cherchant à refonder la démocratie sociale. Ils ont pu imaginer qu’il aurait de la considération pour les contre-pouvoirs, à commencer par le Parlement, et pour les autorités indépendantes.

Que nenni ! Comme il est minoritaire, Jupiter use des pouvoirs monarchiques exorbitants que lui offre la Constitution de la Vième République, pour imposer à tous ses conceptions, celles de l’oligarchie capitaliste, « des milieux d’affaires, comme de la haute fonction publique de Bercy qui lui est acquise ». C’est l’autoritarisme d’un régime quasi monarchique, mais sans la moindre coloration sociale[2].

A cela s’ajoute la morgue et le mépris de celui qui sait, du moins qui pense savoir parce qu’il sort de l’ENA. Les ouvrières de chez Gad sont « des illettrées » ; les ouvriers de Lunel n’ont pas compris que « la meilleure façon de se payer un costard, c’est de travailler » ; les gens qui ne sont rien, ces « fainéants », à côté des « gens qui réussissent ».

Macron ne négocie pas, il concerte à l'extrême rigueur – et encore… le moins souvent possible. C’est-à-dire que le ministre reçoit les syndicats pour leur dire que quoi qu’ils disent, on appliquera son projet à lui, parce que c’est forcément le meilleur. Et pour être sûr que les travailleurs ne pourront pas résister au démantèlement social, il procède par ordonnances pour réformer le code du travail et le droit de licencier, refuse tout coup de pouce en faveur du salaire minimum, gèle les rémunérations publiques, renforce le contrôle des chômeurs, réforme la retraite avec l’introduction d’un système par points, avec la hausse de la CSG pour les retraités, prévoit de supprimer 120 000 emplois publics alors que le service hospitalier est dans un état lamentable, que l’école manque d’enseignants, la justice d’effectifs, casse le régime de la SNCF.

Les salariés encaissent le coup, les syndicats paraissent dans l’incapacité de réagir. La division syndicale, orchestrée par la direction de Force ouvrière, a aussi contribué à ce que la colère sociale ne débouche pas, malgré les efforts de convergence des luttes tentées par la France Insoumise, comme la manifestation « Marée humaine ». A  la SNCF, une partie de la population était de cœur avec les cheminots, mais a bien compris que la grève perlée risquait de ne pas déboucher, et cela restait malgré tout catégoriel.

 

L’étincelle

Cela rappelle un peu 1967, quand les médias disaient que la France était endormie. Et puis le 22 mars 68, une étincelle l’avait réveillée et en mai, c’était la grève générale. En fait le feu couvait après 10 années de pouvoir autoritaire. Aujourd’hui la dernière augmentation des taxes sur les carburants a provoqué la révolte du ras-le-bol, avec le mouvement des gilets jaunes. A la différence de 1968, c’est un mouvement spontané, qui s’auto-organise par l’intermédiaire des nouvelles technologies de la communication par internet. Mais aussi, dans l’action sur les ronds-points où se rassemble des gens d’origines diverses : ouvriers, employés, artisans, paysans, commerçants, petits entrepreneurs. Ce qui explique le flou des doléances : moins de taxes, moins d’impôts, en fait plus de justice fiscale pour les plus conscients. Car il faut des recettes pour financer les services publics. Le mouvement est traversé par des contradictions du fait de la diversité des intérêts des diverses couches sociales. Il faut de l’argent, des investissements pour réaliser la transition écologique. Mais, elle ne doit pas être faite au détriment du social. C’est possible, si on prend l’argent là où il se trouve : les grandes  entreprises, les multinationales, les Gafas, les dividendes des riches, les 1% de la population qui, a vu son capital augmenter considérablement alors que le pouvoir d’achat stagne, voire diminue depuis l’arrivée de Macron, pour les petites classes moyennes qui paient les impôts et les taxes et ont le sentiment, à juste raison, qu’elles n’ont droit à rien. D’autant plus qu’elles ont quitté le centre-ville pour la périphérie et les campagnes, par un désir de vivre mieux, être propriétaires de leur logement, quitte à se saigner aux quatre veines pour y parvenir, parce que les loyers en ville sont devenus exorbitants. Loin de la ville, il a moins ou pas de services, les postes ont disparu des villages, plus de commerces, il faut aller au supermarché, ces grands groupes qui ont justement contribué à la disparition du petit commerce ; les écoles, les hôpitaux, les maternités de proximité disparaissent aussi. Il faut se déplacer pour tout, les services, les loisirs, la santé, les courses. Avec un prix du gasoil qui a augmenté de 20 %, c’est devenu trop cher, insupportable.

Les Gilets Jaunes, pas si idiots que le pensent Macron et consorts, ont vite demandé aussi le rétablissement de l’impôt sur la fortune, même si c’est un impôt marginal, c’est un symbole de la nécessité de plus de justice fiscale, de s’en prendre au capital, à ceux qui accumulent car le principe même du capitalisme est d’accumuler à un bout, pour une minorité, alors que la majorité s’appauvrit, se paupérise. La grande bourgeoisie à son service, bénéficiant des miettes laissées par les très riches, ceux-là soutiennent Macron avec ceux qui s’imaginent en être...

Certains Gilets jaunes, influencés ou membres du RN, de groupes identitaires d’extrême-droite, essaient d’imprimer des thèses d’exclusion, de xénophobie, à l’égard des migrants ou de travailleurs détachés, alors qu’il faut plutôt réclamer l’égalité des droits pour que leur activité ne pèse pas sur ceux des salariés français.  

 

Pourquoi cette politique ? Je l’écrivais dans mon précédent article « Pour la République » : pour respecter le dogme « l’adoration, quasi fétichiste, pour les chiffres – les 3 % de déficit public, les 60 % d’endettement public… – qui ne sont, après tout, que des conventions - et la détestation de la question sociale, sinon le mépris de classe » pour accélérer les réformes dites structurelles, en finir avec la « République sociale », ce qu’il reste du programme de la Résistance, « Les jours heureux », déjà bien résilié.

 

Il a dû céder, devant la persévérance de ceux qui sont allés « foutre le bordel » plutôt que « d’aller regarder s’ils ne peuvent pas avoir des postes ». Autant de formules qui, d'un bout à l'autre du pays, à tous les ronds-points occupés par des « gilets jaunes », n'ont évidemment pas été oubliées…Céder jusqu’où ? La taxe sur les carburants, pour un an, quelques mesures d’accompagnement. Mais il y a tout le reste.

Les Gilets jaunes ne sont pas dupes. Et cette fois la confiance est atteinte. D’autant plus que la violence policière et judiciaire exercée auparavant contre les syndicalistes, les zadistes, les associatifs anti-nucléaires de Bure, les étudiants, ce sont les gilets jaunes qui en font aujourd’hui les frais. Ces provocations favorisent les casseurs, encouragent les sentiments de colère d’exaspération et de rage qui conduisent certains à se joindre à ceux qui, très violemment, veulent « foutre le bordel », pour piller ou pour favoriser l’extrême-droite fascisante. On ne peut pas exclure non plus les manipulations ordonnées par une partie du pouvoir en place pour offenser la « majorité silencieuse » et obtenir la fin du soutien populaire immense dont bénéficie le mouvement des gilets jaunes : entre 75 et 83 % selon les catégories politiques et sociales. Et ce ne sont pas les images des lycéens de Mantes la Jolie alignés, à genoux face à un mur, les mains sur la tête, surveillés par des hommes en armes, qui vont arranger la popularité du gouvernement.

Les retraités qui participent aux manifestations, auxquels le gouvernement ponctionne l’équivalent d’un quart à un demi mois de pension sous la forme du relèvement de la CSG et de la brutale désindexation des retraites, sont-ils des casseurs ? D’un seul coup, toute la politique antisociale de ce gouvernement est vouée aux gémonies, alors que le pays semblait amorphe ou chloroformé ; c’est le dédain ou l’arrogance d’Emmanuel Macron qui sont pointés dans toutes les manifestations, accompagnant désormais le chef de l’État, où qu’il aille, sous la forme de huées. « Macron démission ! » : même les lycéens commencent à entonner le slogan… c’est dire si l’impopularité du chef de l’État est désormais enracinée dans tout le pays[3].

 

Le chef de l’État pourra-t-il éviter une dissolution de l’Assemblée, un changement de gouvernement, aue la crise politique ne se transforme pas en crise de régime ?

Pense-t-il pouvoir sérieusement mettre en œuvre la suite de son programme de casse sociale ?

Pense-t-il pouvoir être en mesure de casser le paritarisme du régime d’assurance-chômage et de mettre à la diète les futurs chômeurs ? Continuer sa réforme de la retraite, la remise en cause de l'âge du départ, la baisse des pensions ? Tout cela pour amener ceux qui le peuvent à s’assurer chez ses copains des assurances privées. Prémices avant de s’attaquer à la Sécurité Sociale dont il diminue sans cesse les ressources par la cotisation. Pourtant, l’expérience du système étatsunien démontre l’inanité du système privé de protection sociale qui sévit dans ce pays. Et puis encore, livrer les Aéroports de Paris ou la Française des jeux à quelques-uns de ses amis dans les milieux d’argent ?

Le quinquennat Macron, au bout de 18 mois, est déjà un échec. C’est un président qui a perdu son autorité, sinon même sa légitimité. Comme il n'y a pas grand-chose en faveur du Smic, dont la revendication de le porter à 1300 € n’est pas exagérée, comme il n’a rien rien en faveur des retraités, rien non plus l’impôt sur la fortune, le mouvement social risque de durer.

 

J’entends l’appel du porte-parole gouvernemental lancer un appel à la République. Mais justement ce sont eux qui l’ont bafouée la République.

Quelque soit l’issue de cette lutte, Emmanuel Macron a sans doute irrémédiablement enterré le macronisme ! Il est fini !

 

Allain Graux

 2018.12.07

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

[1] Mediapart - Le crépuscule du macronisme -5 décembre 2018 Par Laurent Mauduit

[2] ibid

[3] ibid

Tag(s) : #POLITIQUE
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