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Le conflit au Haut-Karabakh a révélé un alignement implicite ou explicite de nombreuses puissances – Union européenne, États-Unis, Israël, Russie – sur la politique de l’Azerbaïdjan. Pour Bertrand Badie, spécialiste des questions internationales, l’usage de la force n’est pas réhabilité.https://www.humanite.fr/wp-content/uploads/2023/10/p4-avec-Badie_LUN_HQ-1.jpg?w=1024Des réfugiés arméniens du Haut-Karabakh sont vus dans la ville de Goris le 30 septembre 2023 avant d’être évacués dans différentes villes arméniennes.
© Diego Herrera Carcedo / AFP

Quel est votre regard sur ce conflit au Haut-Karabakh et la dissolution de l’entité politique ?

Première chose, il ne s’agit pas d’un conflit à l’ancienne. Cette guerre illustre toutes  les contradictions de notre ordre mondial tel que nous le connaissons après l’avènement de la post-bipolarité et de la mondialisation. On présente à tort ce conflit entre deux États avec un vaincu, l’Arménie, et un vainqueur, l’Azerbaïdjan.

La réalité est plus complexe. Le Haut-Karabakh est une république autonome qui n’a jamais été reconnue internationalement, y compris par Erevan. Donc, je suis toujours un peu agacé d’entendre que l’Arménie a été battue. Elle l’a été d’un point de vue moral, diplomatiquement mais pas militairement. C’est une idée simple qu’il faut rappeler pour bien comprendre l’effondrement rapide du Haut-Karabakh.

Un deuxième élément apparaît pertinent. Dès qu’il existe une enclave, il y a une menace. Car cela symbolise une transgression dans le droit territorial international. La situation se termine généralement mal ou l’enclave se trouve perpétuellement fragilisée. Troisième élément, ce conflit n’est pas tant international qu’inter-identitaire : une vieille histoire de coexistence difficile entre des populations arméniennes, chrétiennes, et des populations azéries, musulmanes.

Chacune ayant eu son moment réciproque. À la création de cette république autonome du Haut-Karabakh, les populations azéries ont également été menacées. Il faut donc comprendre que les groupes ethniques ne sont pas « territorialisables ». Il est impossible de faire correspondre territoire et ethnie. Et dans un contexte de réveil identitaire, cela aboutit nécessairement à des drames, tant les identités veulent correspondre à des territoires qui en excluent les autres. On a déjà connu ce type de conflit dans les Balkans, lors de l’éclatement de l’ex-Yougoslavie. On le constate dans les situations postcoloniales en Afrique. C’est le nœud du drame au Haut-Karabakh.

Dernière remarque, cette enclave et sa nature transgressive d’un point de vue territorial international ont toujours été vécues à Bakou comme un inachèvement. Le pouvoir autoritaire azerbaïdjanais, peu enclin à respecter ou à octroyer des autonomies, a profité d’un rapport de force qui lui était favorable, la quasi-totalité du monde étant implicitement ou explicitement derrière lui.

Cela explique-t-il la passivité de la communauté internationale ?

Il est rare d’observer un tel alignement. De façon intéressée ou pour des raisons historiques de solidarité, le monde entier avait intérêt à garder le silence et laisser les choses se faire. L’Azerbaïdjan a eu le soutien naturel de la Turquie, en raison du néo-ottomanisme dont se réclame Recep Tayyip Erdogan.

L’Union européenne avait, au début de la guerre russo-ukrainienne, passé des accords avec l’Azerbaïdjan pour compenser les sanctions contre les hydrocarbures russes. Cela lui lie les mains. Ilham Aliyev a profité de cet effet d’aubaine et du rapprochement aussi des États-Unis. Israël applique une politique de forte implantation en Azerbaïdjan, le Pakistan également.

Le plus surprenant vient de la Russie, consciente de sa faiblesse croissante, qui a considéré plus rémunérateur d’être du côté des plus forts. Au moment de la dissolution de l’URSS, Moscou avait gardé des vertus médiatrices entre les anciennes républiques soviétiques. Désormais, faute de ressources et d’influence, ce rôle lui échappe. Il ne restait à l’Arménie que l’Iran pour la soutenir, État paria lui-même dans le système international actuel.Si l’Arménie n’a pas perdu militairement, l’impact de ce conflit (humanitaire, politique…) et la menace territoriale paraissent considérables…Bien évidemment, l’Arménie a souffert d’une défaite morale, d’un manque de solidarité, et a vécu la révélation de son isolement et de son impuissance. Malgré ce passif, l’État arménien n’a pas fait la guerre. Et en droit international, Erevan peut faire valoir ne pas être juridiquement concerné par le sort d’un État non reconnu. Autre chose, l’acharnement envers le premier ministre Nikol Pachinian est excessif.

Au Haut-Karabakh, un départ sans retour

Le sort du Haut-Karabakh dépendait essentiellement de Bakou. Si l’Arménie souffre d’isolement, son dirigeant a pu, dans cette tempête, insister sur la souveraineté absolue du pays. Il a réussi à replacer l’Arménie sur l’échiquier international, mais il lui faudra gérer le flux de réfugiés et défendre l’intégrité territoriale.

Avec ce conflit, l’utilisation de la force s’impose-t-elle à nouveau comme un moyen de règlement des crises ?

Il faut éviter cette erreur. Les tenants du vieux monde veulent à tout prix réhabiliter l’usage de la force. Mais c’est faux. Depuis quatre-vingts ans et la fin de la dernière guerre mondiale, la force n’a jamais gagné. C’est important de le répéter, notamment aujourd’hui. La force a été mise en échec à travers les nombreuses guerres de décolonisation, au Vietnam, lors des deux guerres d’Afghanistan par l’URSS et les États-Unis. Elle a été mise en échec dans le conflit irakien.La force saoudienne n’a pas fonctionné au Yémen. La France a essuyé une débâcle dans les guerres postcoloniales, notamment au Sahel, tout comme la force russe poutinienne en Ukraine. Dans le conflit au Haut-Karabakh, la disproportion est éclatante : en vingt-quatre heures, Bakou, soutenu par le monde entier, a repris le pays.Parler de « moyen de règlement » m’apparaît aberrant. Cet épisode renforce un ressentiment des minorités arméniennes d’Azerbaïdjan et ce dernier rejaillira d’une manière ou d’une autre. La réappropriation ou l’occupation du Haut-Karabakh ne résout en rien le problème.

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Tag(s) : #ASIE, #Ethnographie, #Politique étrangère, #géopolitique, #international
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