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Avec plus de 48 % du PNB, elle représente le secteur économique essentiel du pays : 82 % des exportations, 80 à 85 % de la main-d’œuvre. Dominée par la culture du café en termes d’exportation (35%), elle fait vivre 12 % de la population. Le Khat, deuxième produit exporté et non reconnu, apporte des revenus supplémentaires à de nombreux agriculteurs.

Mais l’essentiel des paysans cultivent de trop petites parcelles qui ne peuvent être exploitées mécaniquement ; ils travaillent toujours traditionnellement avec les zébus qui tirent l’araire. Ils ne fournissent qu’une agriculture vivrière de subsistance : des céréales comme le teff, du blé, du maïs, du sorgho, des fruits et légumes, et aussi des oléagineux, des épices, le sésame, des fleurs, de la canne à sucre, du coton, produits plutôt destinés au commerce. Pour développer une industrie sucrière, le gouvernement favorise la mise en culture d’immenses champs de canne près de l’Awast et dans la vallée de l’Omo.

L’autre grande richesse agricole est un cheptel qui est le plus important du continent, constitué de zébus, de chèvres et de moutons, de dromadaires, de millions d’ânes.

Le Derg avait développé 300 000 hectares de fermes d’Etat dont beaucoup ont été fermées pour non rentabilité. Si dans certaines régions du Nord, la moindre parcelle du sol est cultivée jusqu’à 3 200 m d’altitude, seule 30 % de la surface de la terre arable -qui couvre 65% du territoire- est actuellement exploitée.

« L’origine des régimes fonciers

Ils diffèrent entre les régions du Nord qui abritent l’ancienne formation de l’Etat, et les régions du sud, qui ont été incorporées à l’empire éthiopien en expansion de Menelik II. La zone nord, en fait le royaume abyssin, a continué à dominer les peuples et les terres du Sud, dans un système politique centralisé caractérisé par un accès inéquitable au pouvoir et à l’autorité de l’Etat.

Au Nord, les systèmes fonciers communautaires, appelés rist, étaient monnaie courante. Les droits sur les terres rist[1] étaient transmis par héritage aux descendants des premiers colons, qui ne pouvaient ni vendre ni hypothéquer la terre, mais pouvaient la mettre en location ou la transmettre à leurs enfants comme héritage.

La descendance était assurée tant par les hommes que les femmes, ce qui donnait aux deux sexes des droits potentiels sur la terre. Mais, des personnes nanties et influentes parvenaient à défendre et à étendre leurs propriétés, car se superposaient divers systèmes de droits de prélèvement d’impôts et de taxes sur les terres rist. Ces droits d’imposition peuvent être considérés comme des droits gult[2], dont certains avaient été hérités de l’aristocratie féodale, certains appartenaient à la Couronne et étaient concédés de manière temporaire à titre de fiefs féodaux (terres maderia[3]), et certains étaient accordés à l’Eglise de manière permanente. Tous les droits gult, tant au sein de l’Eglise (où ils étaient considérés comme des semon[4]) que dans le système féodale séculier, étaient subdivisés en une gamme ahurissante de droits permanents, semi permanents et temporaires accordés à un large éventail de serviteurs féodaux et d’agents de l’Etat.

Dans le Sud, la plupart des familles paysannes sont devenues des métayers sur leurs propres terres après que celles-ci ont été distribuées à l’élite féodale et leurs serviteurs après la conquête de la région.

Par conséquent, les populations du Sud devaient souvent, pour accéder à la terre, verser une rente et fournir d’autres services dans le cadre de contrats de métayage financièrement exigeants. Le contraste majeur avec le système nordique du rist concernait la sécurité des droits fonciers, où le régime fondamental basé sur la transmission héréditaire des droits fonciers était sous-tendu par le système d’imposition. Dans le sud toutefois, les contrats de métayage et de location des terres ne garantissaient pas la sécurité des droits sur celles-ci, comme cela se traduit dans la terminologie : les paysans du Nord étaient appelés les gabbar (ceux qui paient une taxe – gibr), et les fermiers du Sud, les chisegna (ceux dont les droits sont comparables à de la fumée – chis).

Après le rétablissement du régime d’Haile Selassie en 1941, les fiefs féodaux ont progressivement été transformés en propriétés franches avec le paiement d’une taxe foncière comme critère principal. Cela concernait la taxe foncière versée à l’Etat, et non la rente foncière payée par les fermiers aux propriétaires terriens. Avec la mécanisation, le besoin de propriétés plus vastes s’est accru pour les grands propriétaires et les expulsions de fermiers sont devenues monnaie courante. Le Sud était caractérisé par des systèmes de répartition des terres largement inéquitables et de grandes inégalités en termes de statut et de sécurité.

Les terres pastorales étaient concédées aussi sous forme de fiefs aux serviteurs féodaux de Menelik II, en récompense des services rendus à la Couronne, pour garantir leur loyauté et leur fournir une source de revenu.

A partir des années 1950 et au-delà, le potentiel de modernisation de l’agriculture irriguée le long des cours d’eau dans les basses terres a engendré de nombreux conflits entre les systèmes fonciers autochtones et l’Etat.

Cette situation a été à la base, et la cause principale, de la révolution éthiopienne de 1974, ainsi que la suppression de la réforme agraire de 1975.

La réforme agraire et la propriété agricole.

Les questions de droit foncier sont au cœur des questions du développement agricole, des ressources alimentaires pour nourrir les populations, mais aussi d’un certain nombre d’évènements sociopolitiques et économiques. Ils sous-tendent des défis majeurs comme la pauvreté, la sécurité alimentaire, la gestion des ressources locales et des conflits sur l’utilisation des terres. Elles concernent particulièrement les populations des hautes-terres car celles des basses-terres n’abritent que 10 à 12 % de la population rurale d’Ethiopie. Elle est répartie entre pasteurs et agriculteurs pratiquant la culture sèche ou la polyculture. Les activités pastorales dans les basses-terres dépendent de l’accès libre à de vastes étendues de terre pour le pâturage.

La réforme agraire de 1975 représente l’un des évènements les plus importants de l’histoire moderne de l’Ethiopie, et son empreinte continue de marquer lourdement les communautés rurales.

Toutes les terres rurales éthiopiennes étaient devenues la propriété de l’Etat et étaient considérées comme un bien collectif du peuple éthiopien. Depuis cette réforme, les paysans ne sont donc pas propriétaires mais utilisateurs de terres d’Etat.

Au sein des associations paysannes créées pour appliquer la réforme, la terre était repartie entre chaque ménage en utilisant un modèle standard de 80 familles sur 800 ha de terre pour chaque association paysanne, avec des adaptations locales. La réforme attribuait un droit d’usufruit à chaque personne présentant un intérêt manifeste pour la culture de la terre, jusqu’à un maximum de 10 hectares par ménage (maximum rarement atteint). Nul ne pouvait ni vendre, louer, aliéner, échanger ou transmettre la terre par héritage, ni recruter des ouvriers agricoles. La réforme agraire a permis une répartition équitable des terres au sein des communautés agricoles, mais les redistributions répétées de terre pour satisfaire de nouveaux demandeurs ont diminué la taille des propriétés, remis en cause la sécurité des droits fonciers ainsi que la rentabilité de parcelle trop petites.

L’économie dirigiste de l’Etat a introduit la délivrance obligatoire de quotas de produits agricoles à des prix préétablis, ce qui a appauvri davantage les ménages et les zones rurales.

En termes strictement juridiques, toutes les terres pastorales demeurent détenues par l’Etat au nom des peuples d’Ethiopie bien que la Constitution de 1994 garantit l’accès à la terre à tous les Ethiopiens qui souhaitent vivre de l’agriculture. Elle laisse la définition des conditions d’attribution aux mesures législatives auxiliaires qui doivent être élaborées par les Etats régionaux ethniques. La Constitution de 1994 affirme que toutes les terres sont la propriété commune des divers Etats régionaux à base ethnique.

Concernant l’agriculture familiale, les structures et la réglementation de la Réforme agraire de 1975 sont pour la plupart restées en place.

Le pastoralisme

Les pasteurs représentent quelques 10 % de la population. Ils utilisent environ 40 % de la superficie qui est considérée comme uniquement propice aux activités pastorales.

L’Etat dispose d’un droit prééminent d’user à sa guise des terres pastorales. Les droits d’usage de ces terres sont explicitement rattachés aux groupes sociaux, en fonction d’une certaine définition des groupes ethniques. Autrement dit les droits fonciers sont un aspect de l’appartenance au groupe, pour utiliser la terre, la gérer eou la mettre en valeur. Actuellement, ces droits formels dans les zones pastorales d’Ethiopie semblent être des droits collectifs vaguement définis, octroyés à des groupes ethniques précis sans grande considération des droits fonciers autochtones, quand ceux-ci existent.

Les pasteurs paient une taxe sur le bétail, par espèce. Cependant d’un point de vue juridique, la taxe sur le bétail ne confère pas de protection par rapport aux droits d’usage des pasteurs, comme le fait l’impôt foncier agricole des cultivateurs. Cela implique que l’agriculture de labour continue d’avoir prééminence sur le pastoralisme en cas de conflit sur l’utilisation des terres. Le régime de la propriété foncière et des ressources est un des aspects des crises alimentaires récurrentes dans les zones pastorales. Des initiatives devraient viser à améliorer une situation caractérisée par une pauvreté persistante liée aux moyens de subsistance sur les terres arides.

Sécheresse et famine

La sécheresse, assez courante dans les basses terres d’Ethiopie, se traduit désormais plus rapidement et plus fréquemment en famine. Les variations climatiques restent une menace constante, la vulnérabilité des communautés pastorales peut-être expliquée par rapport à un large éventail de problèmes. Des interventions publiques mal conçues, mais aussi des aspects tels que la pénétration du marché, les projets de développement défaillants, les effets néfastes du secours en cas de famine, la croissance démographique, la dépendance accrue sur le commerce et les termes de l’échange hautement instables, etc. se sont combinés pour entraîner une rapide mutation du pastoralisme. La situation des pasteurs éthiopiens est désormais de plus en plus caractérisée par la pauvreté, l’insécurité alimentaire et l’accroissement des risques écologiques, ainsi que la marginalisation des domaines politique, économique et social (Hogg, 1997). Les changements observés dans les régimes de propriété des ressources sont fondamentalement liés à nombre de ces changements.

L’utilisation des ressources par les pasteurs dans les basses terres arides se réduit souvent à la valorisation de bandes de terres particulières, de manière saisonnière et très irrégulière. Nombre des problèmes observés actuellement résultent de l’affaiblissement ou du remplacement des régimes fonciers communaux par des régimes fonciers inférieurs aux systèmes autochtones ou moins adaptés aux modes d’utilisation des terres et aux ressources en question.

La privatisation des ressources

Les sociétés pastorales sont souvent affaiblies quand ces dernières sont absorbées par de grandes formations étatiques. Ce qui incite des individus à chercher de nouveaux moyens d’exploitation des ressources disponibles. Les cas les plus souvent répertoriés sont la création de réserves privées, de diverses sortes, à l’intérieur des terrains communaux, comme la construction de réservoirs d’eau et de clôtures pour exclure d’autres utilisateurs qui a été observée dans de nombreux contextes pastoraux en Ethiopie et en Afrique de l’Est. Ces investissements requièrent souvent des dépenses financières considérables. Ces initiatives excluent en fait les pauvres des ressources communes. L’accès équitable aux ressources vitales que sont les pâturages et l’eau, qui était une caractéristique centrale des sociétés pastorales dans cette partie du monde, semble désormais remis en question.

L’Etat peut s’approprier les droits fonciers pastoraux pour son usage personnel. Dans tous les cas, les sociétés pastorales n’ont plus accès à de larges bandes de terres, dont certaines renferment des ressources vitales et essentielles sans lesquelles des zones encore plus vastes deviennent inaccessibles. En vertu de la législation nationale, cette appropriation des terres s’est faite en toute légalité.

Les cas les plus connus d’appropriation à grande échelle de terres pastorales en Ethiopie se trouvent dans la vallée de l’Awash. Ils impliquent la création de vastes fermes irriguées et d’un parc national dans les zones de pâturage des pasteurs d’Afar et de Kerreuy (Muderis, 1998; Buli, 2002; Ayalew, 2001). Il existe d’autres exemples, moins connus mais tout aussi marqués par des conflits, dans la vallée du fleuve Omo (Melesse, 1997), qui impliquent des travaux d’irrigation et des activités de gestion de la faune, ainsi que dans les vallées fluviales de la région Somali.

Sur la base de la Constitution de 1955, le gouvernement a octroyé des concessions à durée déterminée pour le développement de l’agriculture commerciale (principalement des cultures de rente telles que le sucre et le coton) dans la vallée de l’Awash. Le besoin pour les Afar d’accéder à des zones de pâturage vitales en saison sèche le long du fleuve n’a pas été compris par les décideurs. Les pasteurs se sont plaints, à travers leurs chefs traditionnels et le Sultan Haoussa, au gouvernement central et à l’Empereur, que la terre leur était arrachée sans indemnisation adéquate. Pourtant, les Afar ont perdu le procès en partie à cause d’une mauvaise représentation juridique. Par ailleurs, au lieu de poursuivre cette affaire comme une question publique d’importance capitale, le Sultan et sa famille ont exploité les opportunités offertes par le nouveau cadre juridique pour revendiquer des droits de propriété privée sur de vastes étendues de terres en aval du fleuve Awash. La réforme agraire de 1975 a nationalisé les terres du Sultan et d’autres titulaires de concessions commerciales dans la vallée, mais celles-ci n’ont pas été rétrocédées aux pasteurs Afar. Les champs irrigués ont été placés sous diverses formes de gestion publique, en tant qu’entreprises commerciales ou fermes de l’Etat.

Avec la création de l’Etat régional national Afar au milieu des années 1990, de larges bandes de terre le long du fleuve, y compris un certain nombre d’anciennes fermes de l’Etat, ont été rétrocédées aux Afar : droits exclusifs sur les pâturages et l’eau. Mais l’Etat régional dispose d’une faible capacité administrative, y compris pour la gestion des terres le long du fleuve. Il n’existe pas de politique publique pour garantir l’accès des pasteurs à l’eau ou aux pâturages bordant le fleuve. Les anciennes fermes de l’Etat sont remises en valeur par des investisseurs commerciaux qui obtiennent des droits fonciers temporaires de représentants de clans détenteurs de ces droits. Ces accords de bail sont plus ou moins clandestins (autrement dit, ils ne sont pas enregistrés auprès des tribunaux) et les membres du clan ont peu d’emprise sur ce qui se passe. En particulier, il semble qu’ils maîtrisent peu les revenus générés par ces baux fonciers.

L’utilisation plus rentable des terres sur le plan commercial ont éloigné les pasteurs du fleuve, leur déniant l’accès à des pâturages vitaux en saison sèche et les rendant hautement vulnérables aux variations climatiques, à la sécheresse et à la famine. Les contradictions intrinsèques entre les droits fonciers garantis par la Constitution et les implications des codes d’investissement n’ont pas été levées, et les pasteurs sont régulièrement déplacés. Avec la fermeture plus ou moins certaine de l’étendue riveraine, les pasteurs Afar doivent utiliser de plus vastes étendues des pâturages libres, ce qui a exacerbé les conflits pour les ressources avec les clans Somali Issa à l’est. Les frontières entre Afar et Issa font désormais partie des zones les plus volatiles et les plus insécurisées des basses terres d’Ethiopie.

Des situations similaires sont observées de part et d’autres des zones pastorales d’Ethiopie, partout où des opportunités d’investissement existent. La production pastorale reste pourtant le moyen durable d’exploiter près de 50 % des ressources foncières de l’Ethiopie[5]. »

La vente ou de la « location des terres agricoles ».

L’Ethiopie n’échappe pas à ce fléau dont souffrent les petits paysans des pays en voie de développement : le pillage des terres agricoles. L’exemple est emblématique : le pays subit des famines, tout en étant riche en terres agricoles. Ce qui excite la convoitise des pays plus riches qui ont du mal à nourrir leurs populations : Emirats arabes, Chine, Inde, Corée…

Comme nous venons de le constater, une partie de la population fut exclue de la réforme agraire de 1975 : les pasteurs, par exemple, n’y ont pas été associés. Par ailleurs, les droits d’accès et d’utilisation ont été accordés à des groupes ethniques plutôt qu’aux communautés qui se transmettaient ces droits traditionnels d’une génération à l’autre. En 1995, cultivateurs et pasteurs se voient garantir l’accès gratuit à la terre et la protection contre l’éviction. Cependant, le gouvernement peut exproprier une propriété privée au nom d’un « objectif public d’intérêt général », contre une compensation égale à la valeur du bien. Un peu plus de six millions de familles de paysans ont ainsi fait certifier leurs droits fonciers sur environ 20 millions de parcelles. Mais l’année suivante, une disposition adoptée pas quatre régions (Gambella, Afar, Somali et Benighangul-Gumuz) en a autorisé la location ou le leasing[6]...

Samuel Gebreselassie, de l’organisation Future Agricultures Consortium, constate : « En 2000, 87,4 % des familles rurales disposaient de moins de 2 hectares de terres[7] ; 64,5 % d’entre elles géraient des exploitations inférieures à un hectare et 40,6 % des exploitations inférieures ou égales à 0,5 hectares. De si petites fermes sont en général morcelées en 2 ou 3 parcelles. Une ferme de taille moyenne ne peut générer qu’environ 50 % du revenu minimum nécessaire à un foyer pour vivre au-dessus du seuil de pauvreté. » Or, pour qu’une famille éthiopienne moyenne de quatre enfants puisse se nourrir convenablement, 2 hectares au moins sont nécessaires. Davantage si elle espère vendre le surplus sur le marché pour gagner un peu d’argent[8].

En France, la surface moyenne des exploitations agro-industrielles est de 78 hectares et les plus grandes fermes céréalières peuvent atteindre 116 hectares.

Après la « villagisation » du Derg, deux décennies plus tard, Meles Zenawi a lui aussi entrepris en 2003 de déplacer toute une population des hauts-plateaux vers des sites de réinstallation « volontaires » dans les basses terres de l’Oromia à 90 km au nord-ouest de la ville de Bedele. En deux phases, 14 000 foyers soit 68 000 personnes (dont 20 % de moins de cinq ans) sont alors répartis sur sept sites. En 2004, une enquête instruite par Disaster Prevention and Prepardeness Commission fait apparaître de graves problèmes de malnutrition chez les enfants et les femmes enceintes et allaitantes. Ses conclusions sont édifiantes : « Il y a sept dispensaires et un centre de santé pourvu des principaux médicaments et vingt-trois professionnels de santé. Cependant le nombre de soignants est insuffisant en comparaison du nombre d’habitants... Il n’y a pas d’école, les enfants n’ont pas accès à l’éducation... Les sept villages sont accessibles par temps sec mais les chemins sont impraticables pendant la saison des pluies... Un petit marché a émergé dans le centre cependant les habitants n’ont aucun pouvoir d’achat... Les moulins à grains manquent, les familles doivent attendre parfois deux semaines avant d’y accéder... L’approvisionnement en eau potable est défaillant... L’équipe a également constaté que les derniers arrivants étaient mal équipés, notamment en ustensiles de cuisine... 0,4 % possède un animal domestique (des chèvres)[9] ».

En contradiction avec la Constitution, Zenawi a confié à l’Agricultural Investment Support Directorate (AISD), agence du ministère de l’agriculture, la mission de soumettre à la location de larges territoires aux investisseurs étrangers. 3,6 millions d’hectares de terres ont d’ores et déjà été transférés,[10] HRW[11] ajoute que 2,1 millions d’hectares de terres supplémentaires sont actuellement mis à disposition via la BIA dans des conditions extrêmement attrayantes : prix de location dérisoires et ressources en eau disponibles abondantes. Les programmes de réinstallations des autochtones concernent le sort de 1,5 million de personnes : 500 000 dans la région d’Afar, 500 000 en Somali, 225 000 en Benishangul-Gumuz, et 225 000 en Gambella[12].

Dans la région agropastorale de Gambella, 42 % des terres ont été confisquées, les habitants expulsés. La villagisation qui a débuté en 2010 pour déplacer 45 000 foyers Anuaks et Nuer a été étalée sur trois ans. Leur installation dans de nouveaux villages « modernes » dotés de meilleures infrastructures (écoles, centres de santé, routes, marchés), avec une dotation de3 à 4 hectares de terres irrigables pour chaque foyer, s’est révélée désastreuse. Aucune disposition n’avait été envisagée par l’intendance pour faire la soudure entre le moment où les champs seraient abandonnés avec les récoltes et celui où les nouvelles parcelles vivrières, préalablement défrichées, semées, irriguées et cultivées, porteraient leurs fruits. Les habitants, qui avaient opposé un refus au gouverneur de région, ont été contraints de quitter les lieux, chassés par les forces de police et l’armée. La répression aurait fait trois cents morts, beaucoup de villageois ont été emprisonnés arbitrairement et de nombreuses femmes ont été violées[13]. Dans les villages modernes, pas de moulin à grain, pas d’accès à l’eau potable, des écoles sans enseignants, des centres de santé qui ne fonctionnent pas. Les personnels de santé et les enseignants ont été forcés de travailler dans le secteur de la construction simplement pour permettre au chantier d’avancer... Les adolescents, quant à eux, devaient également participer aux travaux s’ils voulaient obtenir l’autorisation de passer leurs examens.

«Mon père a été battu pour avoir refusé de se rallier [dans le nouveau village] avec d'autres anciens," un ancien villageois a raconté à Human Rights Watch. "Il a dit, « Je suis né ici - mes enfants sont nés ici. - Je suis trop vieux pour se déplacer alors je vais rester " Il a été battu par l'armée de bâtons et de la crosse d'un fusil. Il a dû être transporté à l'hôpital. Il est mort à cause des coups - il est juste devenu plus en plus faible. »

Finalement, les familles n’ont reçu pour toute compensation que des parcelles de 0,25 à 0,50 hectares de terres, en général peu fertiles. Plusieurs villages ont été abandonnés, les paysans ayant fui les violences policières : 1 500 se sont réfugiés au Kenya en mai 2011, et 2 150 en décembre de la même année.

« La société indienne Karuturi Global Ltd, a été reconnue coupable par le Kenya d’évasion fiscale en 2013. Karuturi est l’un des plus grands propriétaires terriens d’Éthiopie. Il a été accusé de nombreux agissements illicites : non contente de soumettre ses employés à de mauvaises conditions de travail, l’entreprise a été jusqu’à se rendre complice d’atteintes aux droits humains[14]. »

L’Europe, les Etats-Unis, Israël, sont aussi très présents, notamment dans la production d’agrocarburants.

L’agriculture vivrière, traditionnelle et l’agropastoralisme avec le savoir ancestral, est le parent pauvre de la politique éthiopienne. Ces pratiquent pourraient et devraient être modernisées, les paysans aidées au lieu d’être chassés de leurs terres pour laisser la place à des produits d’exportation qui ne nourrissent pas les populations. Il serait au contraire nécessaire d’attribuer au moins cinq hectares à chaque famille, de terres arables de qualité et convenablement irriguées, pour parvenir à l’auto-suffisance alimentaire.

« Depuis 2006, les importations de matières premières agricoles de base ont explosé. En tête, le blé suivi du sorgho et de l’huile de palme. Sans trop de surprise, en 2010, l’huile de palme provient pour 83 % de Malaisie, le blé pour 42 % des Etats-Unis, de même que — très inattendu — les 95 % de sorgho importés ! [15]»

Et comment expliquer que des terres louées 300 euros par hectare et par an en Malaisie, alors qu’elles le soient ici à 1,5 euros pour une qualité équivalente ?

[1] Le Rist constitue un système de corporation de propriété où la filiation garantit les droits d’usufruit sur la terre. Dans celui-ci, la terre est la propriété d’une communauté telle que définie par les structures d’appartenance locale. Certains auteurs notent que le système foncier prévalant durant la période impériale est une des combinaisons les plus complexes de système de propriété terrienne prévalant en Afrique. On a pu par exemple, dans la province du Wollo uniquement, dénombrer jusqu’à 111 types de systèmes fonciers différents… (Source Wikipédia)

[2] le système Gult s’est superposé au système Rist : les droits de Gult correspondent à un droit de fief qui requiert que le bénéficiaire d’un Rist s’accorde des taxes sous forme d’argent comptant, ou de travaux envers des propriétaires terriens. Dans le centre de l’Éthiopie, les détenteurs d’un Gult appartiennent dans leur grande majorité à l’aristocratie, alors que dans le Sud et dans la périphérie, ce sont les auxiliaires civils et militaires de l’État à qui un droit de Gult est accordé en échange de leurs services. (Source Wikipédia)

[3] Le Maderia : les terres accordées aux représentants du gouvernement peuvent être transmises à des héritiers qui ont l’obligation de servir le gouvernement, soit dans l’administration, soit dans les forces armées. Cependant les terres acquises de cette manière ne peuvent être ni vendues, ni hypothéquées.

[4] Le Semon est le système foncier sur les terres accordées aux services de l’Église. La terre dans ce système peut être vendue ou transmise à des héritiers.

[5] SOURCE : Johan Helland, « Régime foncier pastoral en ethiopie », VertigO - la revue électronique en sciences de l'environnement [Online], Hors-série 4 | novembre 2007, Online since 01 November 2007, connection on 15 April 2014. URL : http://vertigo.revues.org/1427 ; DOI : 10.4000/vertigo.1427

[6] Tomaso Ferrando, « L’accaparement des terres ou comment la loi expulse les gens de leurs terres », 25 janvier 2013.

[7] Et non les 10 ha prévus par la réforme agraire.

[8] « Issues pour l’agriculture éthiopienne : options et scénarios », Future Aricultures Consortium, Point Info 002, janvier 2006.

[9] Vol de terres en Ethiopie - 18 novembre 2013, par Agnès Stienne – Le Monde Diplomatique.

[10] The Oakland Institute dans un rapport publié en 2011.

[11] HRW : Human Rights Watch

[12] Lire « Ethiopie : Les déplacements forcés provoquent la faim et la détresse », HRW, 18 janvier 2012.

[13] Ibid : « Les déplacements forcés provoquent la faim et la détresse ».

http://www.hrw.org/fr/news/2012/01/17/thiopie-les-d-placements-forc-s-provoquent-la-faim-et-la-d-tresse

[14] Source : http://www.cetri.be/spip.php?article3276

[15] Vol de terres en Ethiopie - 18 novembre 2013, par Agnès Stienne – Le Monde Diplomatique

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