A Gaza, les jours et les nuits se suivent et, hélas, se ressemblent, avec leurs cortèges d’attaques israéliennes par drones, bombardements, tirs des chars, les snipers.
Les condamnations outragées des dirigeants de certains pays européens marquent un tournant dans l’expression, mais dans les discours seulement. Aucune action concrète et coercitive n’accompagne ces nouvelles expressions négatives à l’égard de la guerre d’extermination menée par le gouvernement fascisant israélien contre le peuple gazaoui. De seules et simples expressions ne peuvent pas forcer Benyamin Netanyahou à mettre fin au carnage à Gaza, plaide Nesrine Malik, éditorialiste au quotidien britannique “The Guardian”.
Le vent semble tourner à propos de Gaza, après dix-neuf mois d’une guerre effroyable, vu et au su de tous, dans le monde, mais pas en Israël où seul le journal de gauche Haaretz informe sur la réalité du massacre quotidien?
Au 3 juin, le nombre de morts recensés de 54 418 Palestiniens, selon des données du ministère de la Santé du gouvernement du Hamas, sera certainement dépassé cette nuit ! Sans compter les plus de 15 000 disparus sous les décombres (chiffre estimé ) et ceux qui sont morts de faim, de maladie, ou de leurs blessures faute de soins, car les hôpitaux ont été détruits comme 90 % des bâtiments, immeubles, maisons, écoles, universités, et même les cimetières de Gaza. Pour effacer Gaza, Israël tue plusieurs fois, pour qu’il n’en reste rien d’autre que des ruines.
La distribution d’aide humanitaire tourne au massacre
Le nouveau système de distribution voulu par Israël et les États-Unis tue ceux qu’il est censé sauver. Plus de 99 personnes ont été tuées et des centaines blessées depuis une semaine par des tirs de l’armée israélienne alors qu’elles attendaient les colis alimentaires. Les centres humanitaires sont visés, et même les points alimentaires américano-israéliens du GHF[1] où les Palestiniens doivent collecter des boîtes contenant de la nourriture et des articles d’hygiène de base pour leurs familles. Quatre sites de distribution dans le sud et le centre de la bande de Gaza sont sécurisés par des contractants états-uniens, tandis que des troupes israéliennes patrouillent à l’intérieur de leur périmètre. Pour y accéder, les civils doivent se soumettre à des contrôles d’identité et à des vérifications biométriques et de reconnaissance faciale pour s’assurer qu’ils ne sont pas impliqués dans le Hamas. Cependant, 31 civils palestiniens ont été tués, et plus de 176 blessés, par l’armée israélienne, près d’un centre de distribution d’aide humanitaire situé à Rafah, dimanche 1er juin.
« À Rafah, quand les gens sont arrivés devant le centre, l’armée israélienne, qui est positionnée juste derrière les entrepôts de GHF, a envoyé des drones quadricoptères tirer dans la foule, complète Eyad Amawi. À Netzarim, les soldats israéliens sont aussi juste à côté du centre, ils ont fait feu avec leurs fusils et les chars[2]. »
Malgré les accusations concordantes de Gazaouis et médecins présents dans l’enclave palestinienne, comme d’agences internationales telles que l’Unrwa et Médecins sans frontières, Tel-Aviv comme d’habitude nie son implication. « L’armée a tiré depuis des drones et des chars », a pourtant rapporté Abdallah Barbakh, un Palestinien de 58 ans qui s’est rendu sur place, auprès de l’Agence France-Presse (AFP).
Après avoir imposé un blocus complet pendant plus de deux mois, à peine assoupli fin mai, l’armée israélienne est ainsi accusée d’avoir visé des civils victimes de la famine.
Philippe Lazzarini, de l’agence des Nations unies pour les réfugiés palestiniens (Unrwa), à rappeler cette funeste évidence : « La distribution de l’aide humanitaire est devenue un piège mortel. » Des informations attestées par « des rapports de médecins internationaux sur place », assure le responsable de l’Unrwa à propos « des coups de feu ont fait de nombreuses victimes, dont des dizaines de blessés et de morts parmi les civils affamés[3] ». Il avait déjà déclaré que le projet israélien de reprendre les livraisons d'aide humanitaire avait pour objectif de déplacer les habitants. Selon Lazzarini, la situation actuelle aggrave les souffrances et les difficultés de la population civile.
Et ces tragiques évènements se sont répétés chaque jour depuis l’ouverture de ces centres, jusqu’à leur fermeture devant l’indignation mondiale. GHF a annoncé mardi soir une suspension temporaire de ses opérations. "Les centres de distribution seront fermés mercredi pour des travaux de rénovation, de réorganisation et d'amélioration de l'efficacité", a déclaré l'organisation, assurant que ses activités reprendraient jeudi[4].
Les Palestiniens dénoncent une organisation chaotique des distributions, pointant l'absence de signalisation claire et l'obligation de passer par un itinéraire unique. Ce manque de coordination contribue à la confusion et à la dangerosité aux abords des centres, selon le Washington Post.
Désormais, la guerre se résume à un génocide et à un nettoyage ethnique, d’une façon qui devient de plus en plus difficile à nier, à défendre et à maquiller. C’en est fini depuis longtemps de l’argument qui veut que cette campagne n’ait pour objectif que d’annihiler le Hamas.
Chaque jour, le monde se trouve confronté à un gouvernement israélien qui viole toutes les lois internationales. Il faut en finir avec l’impunité d’Israël dont le gouvernement, même s’il n’est pas insensible aux critiques qui émanent aujourd’hui de toutes parts, n’en poursuit pas moins l’effroyable massacre, et espère une nouvelle Nakba, pire que celle de 1947 (dès 1937 pour les nombreux descendants des habitants expulsés de Jaffa et survivants à Gaza).
Les voix des opposants en Israël même deviennent de plus en plus audibles pour dénoncer le prolongement de la guerre, le blocage des négociations par Netanyahou, de la trêve pour libérer les otages. Cette opinion-là n’est assurément pas majoritaire encore, et un ministre de Netanyahou tel que le suprémaciste Bezalel Smotrich peut toujours tranquillement asséner que « Gaza sera détruite parce que c’est une infrastructure terroriste, en surface comme en sous-sol »[5].
Toutefois, pas un jour sans manifestation pour le retour des otages, pour mettre fin au massacre, pour dénoncer les atrocités commises dans l’enclave palestinienne. Des voix inattendues s’élèvent, comme celle d’Ehoud Olmert, ancien premier ministre de droite, qui accuse son pays, dans une récente une tribune au journal Haaretz, de commettre des crimes de guerre. Une prise de conscience qui a longtemps tardé, tant les images de Gaza ont été bannies des médias dominants israéliens, tant l’expression même d’une quelconque solidarité envers les Palestiniens est dissuadée dans l’espace public.
L’historien israélien Élie Barnavi, qui fut ambassadeur d’Israël en France, a déclaré sur TV5 Monde le 25 mai « Il faut se rendre à l’évidence : il y a des génocidaires au gouvernement d’Israël. Ils le proclament tous les jours, ne s’embarrassant plus de précautions de langage. »
Il ne faut cependant pas se leurrer ; selon un sondage réalisé par Haaretz : à la question de savoir s’ils soutenaient l’expulsion forcée des Palestiniens, les citoyens d’Israël ont répondu favorablement :
- 38 % des Juifs israéliens séculiers ;
- 65 % des massortim ; (traditionnels), ils se situent entre la laïcité et la religion, observant certaines lois et rites juifs non par foi, mais par attachement à une tradition familiale devenue aussi un marqueur d’identité nationale,
- 68 % des religieux,
- 91 % des ultra-orthodoxes.
Cela fait plus de seize mois que la Cour internationale de justice (CIJ) des Nations unies a enjoint, le 26 janvier 2024, à l’État d’Israël de « prendre toutes les mesures en son pouvoir pour prévenir la commission, à l’encontre des Palestiniens de Gaza, de tout acte entrant dans le champ d’application » de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide.
Défiant la justice internationale, les dirigeants israéliens ont fait tout l’inverse, poursuivant le nettoyage ethnique à Gaza et la colonisation en Cisjordanie. (22 nouvelles colonies annoncées par Smotrich). Et cela fait plus de six mois que le premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou, est sous le coup d’un mandat d’arrêt de la Cour pénale internationale (CPI), délivré le 21 novembre 2024, non seulement pour crimes de guerre mais surtout pour crimes contre l’humanité. Ce qui n’a pas empêché qu’il soit officiellement reçu en Europe, par la Hongrie de Viktor Orbán, et aux États-Unis, à peine Donald Trump installé à la Maison-Blanche.
Dans le monde arabe, aucune des puissances financières – Arabie saoudite, Émirats arabes unis et Qatar – n’a usé des armes économiques et énergétiques (pétrole et gaz) dont elles disposent pour secourir le peuple palestinien et enrayer son martyre.
Et en France ?
Tandis que le président de la République française n’en finit pas d’annoncer une reconnaissance de l’État de Palestine, le ministre des affaires étrangères Jean-Noël Barrot tweet : « La France soutient l’idée d’un Etat palestinien, démilitarisé, assorti du désarmement des groupes terroristes et d’une architecture régionale de sécurité intégrant Israël. C’est l’intérêt des Israéliens et de leur sécurité. La seule alternative à l’état de guerre permanent. »
- Démilitariser : c’est priver une zone, un pays de sa force militaire. Cela suppose qu'en cas de bombardements, la Palestine serait dans l'incapacité de se défendre, cela lui serait interdit. Tout mouvement ou tentative de se défendre serait taxé de "terrorisme". Apparemment le "droit de se défendre" n'est autorisé que pour Israël alors qu’il est l'agresseur depuis la reconnaissance de cet Etat colonialiste en 1948.
- "Une architecture régionale de sécurité" : cela désigne le réseau complexe d’alliances diplomatiques et de défense. Et quels sont les mots qui suivent ? "Intégrant Israël". On admet donc d'intégrer l'État colonial à l'origine d'un génocide et d'un nettoyage ethnique dans un réseau de sécurité ?
Vient ensuite la phrase la plus révoltante : " C'est l'intérêt des Israéliens et de leur sécurité, mais pas de celle des Palestiniens.
Si ces conditions révoltantes sont mises en place, Israël pourra continuer de piller, coloniser, bombarder tout en étant protégé ; ces conditions sont l'assurance de l'achèvement du projet sioniste de nettoyage ethnique.
Jean Noël Barrot et le président Macron s'obstinent dans leur jeu de dupes, soutenant un projet d’Etat croupion, sans réelle souveraineté. En fait, il démontre l’hypocrisie et l'irréelle réalité de leur position.
En 2014, l’Assemblée nationale et le Sénat avaient déjà voté en faveur d’une reconnaissance de la Palestine. L’existence de l’État ne dépend évidemment pas de sa reconnaissance. Ou plutôt, reconnaître c’est constater l’existence de cet État dès lors que celui-ci possède un territoire, une population et un gouvernement, comme le suggère le droit international. En avril dernier, cependant, de retour du Caire, le président français annonçait : « On doit aller vers une reconnaissance et donc, dans les prochains mois, on ira ». À la date du 28 mai 2024, on comptait 147 pays (sur les 193 qui composent l’ONU) qui ont reconnu l’État de Palestine. « En reconnaissant l’État palestinien, la grande majorité des membres des Nations unies ne font que tirer toutes les conséquences des résolutions ou décisions adoptées au sein de cette organisation, qu’il s’agisse de l’Assemblée générale, du Conseil de sécurité ou de la Cour internationale de justice (dans son avis de 2004 sur les “Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé”) », note le site Le club des juristes.
Les négociations de trêve dans l’impasse.
Israël somme le Hamas d'accepter la proposition américaine de trêve, sous peine d’être anéanti" !
La réponse du Hamas à la proposition de cessez-le-feu est "complètement inacceptable", selon les Etats-Unis. Ce qui n’est pas sérieux et acceptable, c’est de penser que le Hamas peut accepter une proposition qui entérinerait sa disparition. C’est une simple constatation, pas un soutien au Hamas. Mais il n’y aura pas de paix sans respect du droit international dont la reconnaissance et l’institution d’un véritable Etat de Palestine, sans la justice et les garanties d’un accord durable. Toute l’histoire depuis la création d’Israël le démontre.
Le mouvement islamiste palestinien se dit prêt à libérer dix otages israéliens encore vivants, "en échange d'un nombre convenu de prisonniers palestiniens" détenus par Israël, insistant sur le fait que "cette proposition vise à obtenir un cessez-le-feu permanent, un retrait complet de la bande de Gaza et à garantir l'acheminement de l'aide à notre peuple et à nos familles". Ce que ne souhaite pas Netanyahou qui veut continuer la guerre. Une question de survie pour lui, comme pour son gouvernement devenu minoritaire dans l’opinion publique israélienne.
La société civile.
Un soulèvement croissant s’affirme, porté par une jeunesse, surtout étudiante, pour laquelle la Palestine devient une cause fondatrice comme le furent, pour les générations précédentes, les guerres d’Algérie et du Vietnam.
C’est un génocide.
Secouant l’immobilisme des États, leurs lâchetés ou leurs complicités face à la guerre menée par Israël à Gaza, le 26 mai, trois cents écrivains francophones avaient affirmé dans une tribune publiée par Libération : « Nous ne pouvons plus nous contenter du mot “horreur”, il faut aujourd’hui nommer le “génocide” à Gaza. » Israël tue sans relâche des Palestiniens et des Palestiniennes, par dizaines, chaque jour. Parmi eux, nos confrères et consœurs : les écrivains et écrivaines de Gaza. Quand Israël ne les tue pas, il les mutile, les déplace, les affame délibérément. Israël a détruit les lieux de l’écriture et de la lecture – bibliothèques, universités, foyers, parcs. »
Nour Elassy – Une jeune journaliste et poétesse palestinienne a écrit :
« Israël a réussi – oui, je le dis, douloureusement et sincèrement – sa stratégie diabolique d’expulsion forcée. Non pas par des camions et des frontières, mais par des traumatismes. En rendant Gaza invivable.
Ils ont transformé les maisons en cibles, les hôpitaux en cimetières, les écoles en ruines. Ils nous ont affamés, déplacés, bombardés encore et encore, jusqu’à ce qu’il ne reste plus que la survie. Ce n’est pas une guerre, c’est un nettoyage démographique, systématique et cruel. Ils ne voulaient pas seulement nous tuer, ils voulaient tuer notre volonté de rester. Et, que Dieu me vienne en aide, ça marche.
Cela fait plus mal que n’importe quel missile, n’importe quelle blessure, de dire ceci : ils nous poussent à partir, et nous commençons à lâcher prise – non pas sur notre amour pour Gaza, jamais cela, mais sur notre conviction que nous pouvons vivre ici, grandir ici, élever nos enfants ici. Et c’est là leur arme ultime : non pas les bombes, mais le désespoir.
Non pas combattus, non pas déplacés, mais délibérément effacés. Morceau par morceau, corps par corps, ville par ville. Le monde regarde, les caméras tournent, les camions humanitaires arrivent avec des miettes d’aide et des logos aux couleurs vives – et pourtant, le silence est assourdissant.
… Rafah, qui était autrefois une belle ville prospère, a été effacée et entièrement prise. Khan Younès est maintenant envahie, rue par rue. Deir el-Balah étouffe sous le poids des personnes déplacées. Ils ne ciblent pas les militants, ils ciblent des lieux. Des quartiers entiers. Des familles. Des avenirs.
L’objectif d’Israël n’est plus caché. Il veut que Gaza soit vidée de ses Palestiniens. Du nord à la ville de Gaza, jusqu’au dernier camp de Rafah, les civils sont forcés de descendre vers le sud sous le prétexte de « zones de sécurité » – des zones qui sont ensuite bombardées. L’objectif n’est pas la sécurité. Il s’agit d’exil. Un exil forcé.
Notre peuple est comprimé dans une boîte de plus en plus étroite où il n’y a plus d’air pour respirer, jusqu’à ce que tout ce que nous voulons, tout ce que nous pensons, soit de partir.
… Nous assistons à quelque chose qui dépasse la cruauté. Des enfants sont brûlés vifs. Pardonnez ma description. Des membres sont arrachés à leurs petits corps. Non pas comme un accident de guerre, mais comme un résultat accepté. Un fait. Un coût. Ce n’est pas un conflit. Il s’agit d’un génocide.
Nous, les habitants de Gaza, sommes en train de sortir de l’histoire en temps réel. Et pourtant, aucune action n’a été entreprise. Parce que le monde a échangé son âme contre de la politique et de la normalisation. Ils nous ont laissé le choix entre l’exil et l’extinction.
… Souvenez-vous de ceci : si Gaza tombe, elle ne tombera pas dans l’obscurité – elle tombera sous les projecteurs, tandis que le monde défile, sachant et choisissant d’oublier[6].
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Allain Louis GRAUX
Le 4 juin 2025.
[1] La Fondation humanitaire pour Gaza ( GHF ) est une organisation américaine basée dans le Delaware, créée en février 2025 pour distribuer de l'aide humanitaire à Gaza.
[2] Gwenaelle Lenoir- 2 juin 2025 – Médiapart ( Gaza : la distribution d’aide humanitaire tourne au massacre).
[3] 202.06.02 - Humanité.fr - Tom Demars-Granja
[4] France-info – 3 juin 2025.
[5] 6 mai – France info, Ouest-France, Le Figaro, etc…
[6] 31 mai – Dans Médiapart : Nous, les habitants de Gaza, sommes en train de sortir de l’histoire en temps réel.