En réponse à mon article du 1ier février 2025,
Une personne a répondu : « mais le 7 octobre, fruit d'années de résistance et de résilience, je suis accablé. »
Aussi dois-je une explication de texte sur la signification de cette phrase : « Le 7 octobre est le fruit de nombreuses années de résistance et de résilience face à l’envahisseur. » et dire ce qui moi m’accable terriblement.
Il ne faut pas voir dans cette date du 7 octobre, uniquement l’aspect moral qu’implique les massacres commis lors de cette attaque de plusieurs milices palestiniennes - dont le Hamas - dans les zones qui jouxtent le territoire de la bande de Gaza. Faute du refus d’enquêter du gouvernement israélien, on ne sait pas exactement si les crimes ont été commis par des membres des milices « régulières » en uniforme ou par des gazaouis civils ivres de vengeance après avoir subi des bombardements incessants depuis la « décolonisation de Gaza » par Sharon en 2005, supprimant les 21 colonies qui s'y trouvaient, ainsi que 4 colonies situées en Cisjordanie. Rappelons que le retrait de ces colons s'est accompagné de violences contre les Palestiniens, notamment les massacres à Siloh et à Shefa Amr qui ont fait huit morts[1].
J’ai cité la date du 7 octobre et non écrit « les massacres du 7 octobre sont le fruit de ». Car l’attaque du 7 octobre a remis à l’ordre du jour de l’agenda international la question de la Palestine qui semblait enterrée par les accords d’Abraham signés par Trump, Israël et les dirigeants d’Etats arabes comme les EAU, le Bahrein, le 13 août 2020, prolongés par ceux signés avec le Soudan et le Maroc. Ces accords normalisent les relations avec Israël, après ceux également émargés avec l’Egypte en 1979, la Jordanie en 1994. Au mépris de la volonté populaire de tous ces pays, plutôt acquise à la cause palestinienne.
Ces accords établissent des relations diplomatique avec Israël ; leurs objectifs sont de chercher des moyens de renforcer la coopération dans plusieurs domaines (aviation, tourisme, commerce, santé, énergie, sécurité).
Jamal al-Musharakh, le directeur du département de planification des politiques du ministère des Affaires étrangères émirati avait reçu « l’assurance » qu’Israël ne progresserait pas dans son plan d’annexion de larges zones de la Cisjordanie[2].On peut constater aujourd’hui ce que valent les promesses du gouvernement d’Israël, à la lumière des déclarations des ministres fascistes de ce gouvernement qui veulent coloniser et annexer jusqu’à la Transjordanie.
Lors de la cérémonie de signature avec le Bahrein, le ministre des Affaires étrangères des Émirats arabes unis a remercié Netanyahou d’avoir « arrêté » les plans d’annexion de la Cisjordanie dans le cadre de l’accord alors que le Premier ministre israélien déclarait par ailleurs que l’annexion est simplement « reportée » et qu’Israël n’y a « pas renoncé[3] ».
Tous les observateurs sérieux estiment que cette hypothèse est le principal motif de l’attaque du 7 octobre par le Hamas et ses alliés, contre l’Etat occupant israélien (et non une attaque terroriste contre les juifs).
Toutes les tentatives pacifiques, de mobilisations populaires et de négociations pour aboutir à un accord de paix entre les autorités de Palestine et d’Israel ayant échoué, malgré les ouvertures et la reconnaissance implicite de l’Etat d’Israël dans les frontières de 1967 par le Hamas comme de droit - lors des Accords d’Oslo - par Arafat et le Conseil National Palestinien.
Netanyahou, ayant déclaré de tous temps qu’il est opposé à la création d’un Etat de Palestine. La colonisation de Jérusalem et de la Cisjordanie s’est poursuivie depuis la création de l’Etat d’Israël en 1948 et après la guerre des six jours en 1967.
La plupart des lancements de roquettes sur Israël par le Hamas ont été des ripostes à des provocations de colons, ou de dirigeants israéliens sur l’esplanade de la mosquée al-Aqsa à Jérusalem.
- Cette attaque du 7 octobre, dont je condamne les tueries atroces, les crimes, l’enlèvement d’otages : hommes, femmes et enfants, est donc un fait de la résistance et de la résilience palestinienne, car on ne peut pas résumer le Hamas à la qualification d’organisation terroriste, ayant pour but la suppression d’Israël. C’est aussi une organisation de la lutte de libération et de la résistance des Palestiniens qui attaque un Etat occupant. Ce qui est condamnable ce sont les actes commis contre les civils, meurtres comme enlèvements d’hommes, de femmes et d’enfants.
Tout comme sont condamnables les actes commis par l’armée israélienne et les colons contre les civils palestiniens, meurtres comme enlèvements et emprisonnement d’hommes, de femmes et d’enfants, à Gaza, et en Palestine, avant comme après l’attaque du 7 octobre. Ce sont aussi des crimes contre l’humanité. Des crimes de masse à Gaza ! reconnus comme tels par la Cour Internationale de Justice et le Tribunal Pénal International.
Les prisons.
On estimait, avant 1988, que 20 000 Palestiniens étaient emprisonnés chaque année. Ceux des territoires occupés dorment à même le sol, été comme hiver sur un tapis de caoutchouc d’un demi centimètre d’épaisseur, à une visite et à une carte postale par mois. L’espace vital par prisonnier ne dépasse pas 1,50m².
Des prisonniers peuvent être indéfiniment enfermés dans de telles cellules 23 heures par jour[4].
« Dans toutes les prisons, les prisonniers sont battus. A Ramla, cela se passe dans les cachots ou les « cellules d’isolement ». Un certain nombre de gardiens s’attaquent au prisonnier, le battent à coups de poings, de bottes et de gourdins faits de manches de houe en bois[…][5]
En juillet 2024, l’ONG Addameer dénombrait 9700 prisonniers politiques palestiniens dont 79 femmes, 250 mineurs, douze députés du Conseil législatif palestinien dont Marwan Barghouti, 3380 prisonniers administratif, 300 prisonniers de Jérusalem-Est et 200 prisonniers palestiniens d’Israël. 561 prisonniers purgeaient des peines de prison à perpétuité.
Avant le 7 octobre 2023, l’ONG Addameer comptait 5200 prisonniers politiques et environ 1250 prisonniers administratifs. Ces derniers sont détenus sans jugement, ni mobile exprimé, sur décision du tribunal militaires, pour des périodes de six mois reconductibles indéfiniment. Ce système est une survivance du droit colonial britannique.
75 % des foyers palestiniens ont eu un membre de leur famille emprisonné … y compris des enfants à partir de 13 ans.
La pratique de la torture : dans les centres d’interrogatoire militaires spéciaux situés à Sarafand et anciennement à Gaza[6].
« Les prisonniers sont recouverts d’une cagoule … et sont suspendus par les poignets pendant de longues heures. Beaucoup sont frappés sur les organes génitaux ou sexuellement violentés d’autres manières. Beaucoup sont violés. A d’autres, on administre des chocs électriques.
Les prisonniers sont placés dans des placards à balais spéciaux de 60 cm de côté et de 150 cm de haut avec des pointes de béton dans le sol (NDLA : on s’y blesse dès que l’on bouge). […] Une des spécialités est de les faire attaquer par des chiens. …La spécialité de Ramallah ce sont les brutalités annales. […]
En février 1969, Rasmiya Odeh a été arrêtée et amenée à Moscobiya (Jérusalem). Son père Joseph et ses deux sœurs ont été détenus pour interrogatoire. Joseph Odeh a été mis dans une pièce pendant que Rasmiya était battue tout près. …En sa présence, ils l’ont maintenue à terre et lui ont brutalement enfoncé un bâton dans le vagin. L’un des interrogateurs a ordonné à Joseph de baiser sa fille. Comme il refusait, ils commencèrent à le battre ainsi que Rasmiya[7]. …
De telles horreurs dignes des camps nazis, de la torture en Algérie, des prisons de la dictature argentine ont eu lieu récemment dans les camps israéliens :
« Samih Aliwi a rendu son dernier souffle le 6 novembre dernier. Ce Palestinien de 61 ans placé en détention administrative – sans jugement –, était incarcéré à la prison de Ketziot, dans le Neguev[8]. »
Dans la bande de Gaza, les forces d’occupation israéliennes auraient procédé à 4 500 arrestations depuis le 7 octobre. Le cas de Samih Aliwi n’est pas isolé : 62 détenus palestiniens sont morts dans les prisons, les camps militaires et les camps de détention israéliens depuis le 7 octobre 2023. Addameer a pu compiler des témoignages recueillis auprès d’une centaine de détenus au cours de 55 visites dans des prisons ou des camps militaires. Ils jettent une lumière crue sur les conditions de détention des prisonniers palestiniens où les personnes arrêtées en vertu de la loi sur les « combattants illégaux » sont entassées dans des baraquements, soldats et membres des forces spéciales s’adonnent de façon systématique à la torture.
Les personnes détenues dans le tristement célèbre camp de détention militaire de Sde Teiman, près de Beersheba, dans le sud d'Israël, ont déclaré avoir eu les yeux bandés et avoir été menottées pendant toute la durée de leur détention.
« Les gardiens nous maintenaient les yeux bandés et menottés pendant toute la détention. On nous affamait, on nous battait et nous obligeait à nous agenouiller pendant de longues périodes. »
Selon Said Maarouf, 57 ans, pédiatre, arrêté par l'armée israélienne lors d'un raid sur l'hôpital baptiste al-Ahli à Gaza[9].
Tout cela m’accable énormément. Tous ces faits sont documentés par de multiples sources.
- Qui sommes nous, ici, en France, pour juger de l’opportunité du choix des moyens de lutte, pacifiques ou violents pour obtenir justice et la reconnaissance des droits du peuple palestinien ?
Des moyens violents qui ont été utilisés par les milices juives, contre les Britanniques lors du mandat qu’ils ont exercé entre 1920 et 1948. N’étaient ils pas des terroristes ces dirigeants comme Menahem Begin et Yitzhak Shamir, devenus premiers ministres d’Israël, alors à la tête de la Haganah, du Léhi de l’Irgoun, qui ont commis les massacres de la totalité des 284 habitants de Deir Yasin le 9 avril 1948, hommes, femmes et enfants (tués à l’arme blanche pour économiser les munitions !) et de Dueima par Tsahal tel que l’a décrit un soldat dans le journal Davar, le quotidien hébreu officiel de la Fédération générale des travailleurs de la Histadrut (la centrale syndicale d’Israël) :
Ils ont tué entre 80 et 100 arabes, hommes, femmes et enfants. Pour tuer les enfants, ils leur fracassaient le crâne à coups de bâton. Il n’y avait pas une maison san cadavres. Les hommes et les femmes des villages furent repoussés à l’intérieur des maisons, sans eau, ni nourriture. Puis les saboteurs vinrent les dynamiter. […] Un soldat se vantait d’avoir violé deux femmes arabes avant de les tuer par balle. On obligea une autre femme arabe avec son bébé nouveau-né à nettoyer l’endroit pendant deux jours, puis ils les descendirent, elle et son bébé[10].
En 1948, il y avait environ 950 000 Palestiniens dans 475 villages et villes. En moins de 6 mois, il ne restait que 130 00 à 165 000 personnes (les chiffres varient). La grande majorité des Palestiniens furent tués, expulsés de force ou s’enfuirent devant les bandes de tueurs des unités militaires israéliennes. 385 villages furent totalement rasés entre 1948 et 1988. La Nakba (la catastrophe) a commencé dès 1937 à Jaffa[11], des centaines de milliers de réfugiés, exilés dans des camps en Jordanie au Liban, en Syrie, en Cisjordanie et à Gaza où ils constituent la majorité de la population.
Que ferions nous si notre pays était colonisé, la population massacrée, pour installer à sa place sur les concepts d’une légende religieuse, des colons venus d’ailleurs, d’Europe principalement, puis des juifs Mizrahis venus des pays arabes et des Séfarades du Maghreb ?
Moi, c’est plutôt cela qui m’accable !
- Ce qui m’accable, c’est la dépossession continue des Palestiniens depuis la reconnaissance du Foyer national juif en Palestine par le ministre britannique Balfour en 1917, avec l’expropriation des paysans palestiniens de leurs terres, une colonisation continue, le vol de ressources essentielles comme l’eau, la destruction des maisons, la limitation des déplacements, les discriminations en tous genres, le développement d’un état d’apartheid.
- Ce qui m’accable, c’est l'irrespect par Israël des accords passés dont ceux d'Oslo qui devaient aboutir en cinq ans, à la création d’un Etat palestinien dans les frontières de 1967.
Israël n’a toujours pas de frontières délimitées et ne cessent de repousser celles de 1948, en annexant le Golan syrien, Jérusalem-Est, en tentant de s’approprier le Sud-Liban, toute la Cisjordanie. Et même au-delà pour les partisans du Grand-Israël…
- Cela m'accable, toutes ces souffrances infligées au peuple palestinien, de la part de gens dont les parents et grands-parents ont subi les crimes et persécutions de régimes totalitaires et racistes européens, en particulier le nazisme.
Et je suis admiratif de la résilience et de la résistance palestinienne, du désir d'exister et de vivre de ce peuple martyrisé, malgré la volonté israélienne de le faire disparaitre, d'effacer le passé, en détruisant au présent tout ce qui pourrait constituer un avenir de liberté pour ce peuple. Jusqu’à l’idée de Palestine.
Allain Louis GRAUX
Le 2 février 2025
[1] « En Israël, la contestation de la réforme de la justice rejoint la critique des violences commises par des colons à Huwara », Le Monde.fr, 2 mars 2023
[2] Raphael Ahren, « Washington aurait assuré à Abou Dhabi qu’il n’y aura pas d’annexion – officiel [archive] », sur The Times of Israel[date=1er septembre 2020
[3] Israël signe des accords historiques avec les Émirats arabes unis et Bahreïn à Washington [archive] », sur Ouest-France, 15 septembre 2020
[4] Lire dans Ha’aretz l’enquête du journaliste israélien Yair Kutler en 1978, sur les conditions de vie dans les prisons avant 1967, qu’il appelait « l’enfer sur terre ». Cela n’a guère changé depuis. Salah Hamouri, avocat franco-palestinien peut en témoigner pour avoir lui-même été incarcéré!
[5] Les prisons p.101 à 107 « L’Histoire cachée du sionisme » par Ralph Shoenman – Les Editions du Travail.
[6] Sunday Times, Londres, 19.06.1977
[7] P.85 - « L’Histoire cachée du sionisme » par Ralph Shoenman – Les Editions du Travail.
[8] L’Humanité : « Les Palestiniens sont soumis à de graves tortures, à des mauvais traitements, des humiliations » : plongée dans l’enfer des prisons israéliennes ». 05.12.2024.
Confirmé par Le Monde : https://www.lemonde.fr/international/article/2024/08/06/les-palestiniens-subissent-des-mauvais-traitements-systematiques-dans-les-prisons-israeliennes-rapporte-l-ong-b-tselem_6270777_3210.html
[9] Communiqué de presse d’Amnesty international du 19 juillet 2024, Londres, Berne.
[10] Davar : 2 juin 1979. Cité dans « L’Histoire cachée du sionisme » par Ralph Shoenman – Les Editions du Travail, p.44. (Edité aux Etats-Unis en 1988). Schoenman était un citoyen américain de culture juive, créateur avec Bertrand Russel de la Fondation et du Tribunal pour la Paix au Vietnam, entre autres...
[11] Jaffa , capitale des orangers palestiniens, aujourd’hui, quartier Balnéaire de Tel Aviv.