VOICI UN ARTICLE DU JOURNAL "L'HUMANITE" QUI ME SEMBLE BIEN PLUS INTERESSANT QUE LES BATAILLES STERILES ENTRE LES SOI DISANT SCIENTIFIQUES ET LES AUTRES... TOU.TE.S LES AUTRES.
"Il est fort probable que cette crise sanitaire ait brouillé le lien entre science et pouvoir »
L'Humanité, Jeudi 15 Juillet 2021, Anna Musso
La chercheuse Françoise Salvadori, experte en virologie à l’université de Bourgogne, analyse la méfiance d’une partie de la population française vis-à-vis des vaccins anti-Covid et revient sur les raisons historiques et politiques de la crise de confiance entre citoyens, scientifiques et institutions.
Depuis le début de l’apparition des vaccins contre le Covid-19, les réseaux sociaux et les sondages font apparaître une grande hésitation de la population face à la vaccination, notamment des craintes concernant les vaccins à ARN messager. Comment analysez-vous ce phénomène ?
Françoise Salvadori: Face à ce virus qui met la planète à genoux depuis dix-huit mois, les comportements sont souvent loin de la rationalité. On n’a pas cru à la gravité de la maladie, ni à l’efficacité des masques, même en haut lieu… Quand sont apparus les premiers vaccins, en un temps record (cinq ans pour un vaccin Ebola, dix ans pour d’autres maladies, par exemple), il était légitime de se poser des questions. L’industrie pharmaceutique ne dispose pas d’un gros capital de confiance, égratignée par des scandales bien véridiques et condamnée pour ses bénéfices réels, très mal perçus par le public. Du soupçon au complot, il n’y a qu’un pas, d’autant plus facile à franchir que les fantasmes sont légion autour de vaccins utilisant des techniques nouvelles pour le public (mais pas pour les chercheurs du domaine). Quand on parle d’ADN, d’ARN messager, on touche à l’identité, l’individualité : la symbolique est forte autour de ce qui semble nous constituer très intimement et qui serait mis en péril, « manipulé » peut-être par les vaccins. C’est compréhensible, mais accessible à la pédagogie si on est de bonne foi et qu’on fait confiance au scientifique qui donne des explications. C’est beaucoup moins excusable, voire criminel, quand des spécialistes véhiculent eux-mêmes des assertions totalement erronées sur cet ARN qui modifierait notre patrimoine génétique. L’ARN ne pénètre pas dans le noyau abritant l’information génétique et a une très courte durée de vie dans nos cellules… Et nos cellules sont régulièrement envahies par l’ARN des virus qui nous infectent, Sars-CoV.2 et beaucoup d’autres, sans que personne ne s’en inquiète ou n’imagine en être profondément transformé !
Comment interprétez-vous le fait que la France, pays de Pasteur, soit si méfiante envers les vaccins ?
Françoise Salvadori: Cette méfiance vis-à-vis des vaccins n’est pas neuve, elle existe depuis les premières pratiques d’inoculation préventive contre la variole, au XVIIIe siècle, et n’est pas propre à la France. La France ne s’est pas illustrée parmi les pays les plus méfiants dès les origines : les premiers mouvements organisés d’opposition aux vaccins sont nés en Angleterre, à la suite des lois d’obligation vaccinale promulguées dès le milieu du XIXe siècle. La France n’a rendu la vaccination obligatoire qu’au début du XXe siècle et c’est surtout après la Seconde Guerre mondiale que la politique vaccinale est devenue plus volontariste. La loi d’obligation du BCG, vaccin antituberculeux, en 1951, a été suivie, en 1954, de la création de la première ligue anti-vaccins/anti-obligation. L’époque pasteurienne avait été auparavant marquée par des oppositions assez vives, critiques ad hominem contre la personnalité du savant ; on lui reprochait d’être réactionnaire ou bonapartiste, catholique, orgueilleux ou cupide. La méfiance française contemporaine s’est affirmée dans une période plus récente ; elle fait en partie suite à des scandales sanitaires divers qui ne concernent pas les vaccins (sang contaminé par le VIH, affaires de l’amiante, du Mediator…), et à des communications maladroites ou erronées touchant cette fois les vaccins (revirements des ministres de la Santé à propos de la vaccination contre l’hépatite B dans les années 1990, commande jugée trop massive de vaccins contre la grippe A/H21N1 en 2008-2009, discours ambigus sur les adjuvants). Les messages contradictoires sur les masques, ainsi que l’excès de prudence qui a accompagné le début de la campagne vaccinale, n’ont pas été de nature à améliorer les choses.
Le lien de confiance entre la population française et la science et ses institutions est-il affaibli en ce moment ? Y a-t-il eu un point de rupture ?
Françoise Salvadori: La rupture du lien de confiance des Français vis-à-vis des autorités de santé n’est pas très nouvelle (on pourrait la dater des années 1980), leur méfiance vis-à-vis des scientifiques et de la science serait encore plus récente. La Fondation Jean-Jaurès fait un parallèle, dans une enquête de février dernier, entre le rejet des vaccins et celui de la technologie 5G, selon l’opinion des interrogés sur la science et ses apports à l’humanité : chez ceux qui jugent la science surtout bénéfique, 53 % seraient favorables à la 5G et 71 % à la vaccination, alors que, pour les sondés mettant en avant les méfaits de la science, 39 % sont favorables à la 5G et 40 % seulement à la vaccination. Ces positions ne sont pas indépendantes de la défiance envers les institutions ; il y a une proportion non négligeable de citoyens rétifs envers ces deux technologies (pourtant très différentes dans leurs buts…) dont les engagements politiques diffèrent. Il est fort probable que cette crise sanitaire ait brouillé le lien entre science et pouvoir : le Conseil scientifique est apparu parfois proche du pouvoir (trop proche, voire « vendu ») quand celui-ci s’appuyait sur ses avis pour les décisions sanitaires, et parfois inutile quand le pouvoir préférait ne pas suivre ses avis, dépréciant ainsi le rôle de la science… Les débats sur certains plateaux télévisés donnant la parole avec la même légitimité apparente à des scientifiques s’appuyant sur des données validées et à des outsiders cherchant surtout à se positionner comme « antisystème » ont sans doute aussi brouillé les messages : le temps et la forme de l’information en continu ne sont pas ceux de la recherche scientifique, la science n’est pas une opinion comme une autre."
Coauteure avec Laurent-Henri Vignaud d’ Antivax. La résistance aux vaccins du XVIIIe siècle à nos jours. Éditions Vendémiaire, prix Villemot de l’Académie des sciences