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LA TURQUIE et l’UNION EUROPEENNE


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                                                                                              ATATURK

La Turquie revient à la une de l’actualité au moment où la question de l’union politique européenne est relancée par l’élection présidentielle française. La volonté de la chancelière allemande d’obtenir une unité que certains Etats refusent toujours n’est pas étrangère aux questions que posent l’adhésion de ce pays. Elle ajoute une divergence supplémentaire à toutes celles qui sont en débat entre les 27 pays membres.
La Turquie dont le modèle républicain et laïc, imposé par Atatürk est directement inspiré de la révolution jacobine française, doit-elle élire son président au suffrage universel direct. Comme en France ! En dehors de l’aspect concernant l’évolution des institutions, régime parlementaire ou présidentiel, ce qui est en jeu c’est quelle sera l’orientation d’une Turquie dirigée par Recep Tayyip Erdogan, premier ministre d’un parti musulman qui veut faire élire président Abdullah Gül, un intégriste issu de ses rangs. Or si la population turque est musulmane à 95 %, elle n’est pas pour autant islamiste et encore moins intégriste : 80 % des Turcs rêvent de la liberté à l’européenne, pour des raisons différentes, voire opposées, entre Kurdes, laïcs, milieu des affaires, ou paysans misérables d’Anatolie. Même les Islamistes sont pro-européens. L’armée garante de la révolution kémaliste qui a brisé les archaïsmes religieux a fait invalider l’élection à la présidence du candidat islamiste par un parlement majoritairement AKP1.
Les laïcs, opposition minoritaire et disparate2, emmenée par le Parti Républicain du Peuple, ont manifesté dans la rue pour garder les valeurs républicaines, mais par ailleurs ils s’opposent aux généraux dont ils jugent l’influence incompatible avec une évolution démocratique du pays.
Les exigences de Bruxelles ont représenté un levier sans pareil pour mettre en oeuvre des réformes qui ont changé 40 % de la Constitution de 1982 issue du coup d’Etat militaire de 1980. Cependant il n’y a pas eu de coupure avec le rôle décisif qu’exercent encore les généraux au travers du Conseil National de Sécurité3. Ce qui est essentiel pour les démocrates laïcs et aussi pour les islamistes. Nombre de réformes votées sont peu appliquées dans la réalité :
-         comme le respect des droits des femmes toujours victimes de violences conjugales ;
-         comme le respect des droits de s’éduquer ou d’être informé dans leur langue par les Kurdes.
L’article 302 du code pénal sur la diffamation en public de l’identité turque ou 305 sur la protection des valeurs de l’Etat permettent des interprétations qui n’ont que de lointains rapports avec l’exercice de la liberté d’expression.
C’est toute l’ambiguïté de la Turquie : pont entre l’Orient et l’Occident, entre les cultures, où se mélangent les peuples et les influences modernes ou traditionalistes, à cheval sur l’Europe et l’Asie, entre autoritarisme et démocratie. la Turquie est à l’image de ces deux visages, le musulman conservateur avec ses minarets et ses femmes voilées, et son volet moderne à l’occidental, vêtures et belles voitures, les souks et les quartiers d’affaires d’Istanbul où s’élèvent les gratte-ciels des sociétés multinationales.
Pourquoi entrer dans l’Union européenne ?
Les élites turques se sentent de longue date pleinement européennes. Mustapha Kemal disait :
« la civilisation, c’est l’Occident, le monde moderne dont la Turquie doit faire partie si elle veut survivre. »
Dès 1963 De Gaulle et Adenauer saluaient la vocation européenne d’une Turquie que l’on qualifiait en 1920 d’homme malade de l’Europe...
Pour la Turquie progressiste, L’UE représente un avenir, une garantie de l’évolution démocratique du pays. Les laïcs démocrates ont conscience que l’islamisation provoquerait un rejet définitif des opinions européennes à l’égard de l’adhésion de la Turquie.
Le parti au pouvoir qui se présente comme modéré, s’il ne peut pas faire appliquer la Charia et a du renoncer a criminaliser l’adultère, s’attaque néanmoins aux signes laïcs, s’essayant à leur remise en cause par les pressions exercées. Le gouvernement a réussi par exemple, paradoxalement en utilisant la réglementation européenne sur l’hygiène, à interdire presque totalement l’élevage des porcs et leur commercialisation.
La crise institutionnelle turque s’inscrit en contrepoint de la crise institutionnelle européenne :
- l’Europe. est-elle une simple zone de libre échange comme le souhaite le Royaume-Uni, la Pologne?
- ou l’UE. doit-elle se doter d’institutions politiques pour devenir un super Etat fédéral, ou une confédération d’Etats ?
Selon l’orientation choisie, on peut donner une réponse à la question de l’adhésion de la Turquie à l’UE. S’il s’agit d’une simple zone économique, inutile de poursuivre sur le chemin de l’adhésion inauguré par l’accord d’association du 12 septembre1963, poursuivi par l’Union douanière entrée en vigueur le 1.01.96, le Partenariat pour l’adhésion conclu en 2000 sous la présidence française, révisé en 2003, conforté par la clause de Rendez-vous de 2004.
Pour les Turcs c’est le choix entre la démocratie libérale à l’occidentale ou la tentation islamiste, le rejet vers un Moyen-Orient au coeur des conflits qui agitent le monde : la Palestine, l’Irak, la Syrie, l’Iran, dont la question kurde est un élément. Etre rejetés, c’est aussi se confronter avec la Russie, pour l’influence sur les républiques turcomènes de l’Asie central soviétique.
Pour l’UE, intégrer la Turquie c’est aussi intégrer toutes ces questions. Mais c’est également en favorisant l’évolution démocratique de ce pays, l’arrimer à l’Occident et jouer un rôle éminent, plus important dans l’apaisement de ces conflits qui de toutes façons concernent son Sud méditerranéen.
La Turquie, ce serait aussi le pays le plus peuplé de l’UE avec 86 millions d’habitants en 2020, donc un poids majeur au parlement européen, d’une nation ...musulmane. Ce que les laudateurs des « racines chrétiennes » de l’Europe ne sont pas près d’accepter.
Ce sera aussi une lourde facture à payer, en plus de celle des pays de l’Est, elle pourrait s’élever à 28 milliards d’euros par an en 2025.
L’armée perdra irrémédiablement son pouvoir en cas d’adhésion à l’UE. Elle n’y est donc pas très favorable et bloque en particulier le règlement de la question de Chypre et de son occupation illégale qui est une autre condition de l’adhésion.
Les islamistes ont intérêt à l’adhésion car elle ferait sauter le verrou militaire qui à leurs yeux les empêche d’étendre leur influence religieuse et politique, un intérêt commun avec les laïcs, mais pour des raisons diamétralement opposées...
Quelque soit le choix des citoyens et des Etats de l’UE, l’entrée de la Turquie n’est pas pour demain, elle se profile à l’horizon de 2020. Mais l’Union a en mains les meilleures raisons de favoriser tous les rapprochements possibles et prévenir le « choc des civilisations entre Islam et Occident ».

 

1AKP : Parti de la Justice et du développement (islamiste)
2Nota : Si les élections législatives de 2002 ont donné la majorité absolue à l’AKP avec
364 sièges sur 550 grâce au scrutin uninominal à un tour, ce parti n’a cependant recueilli
que 34,2 %. Le seul autre parti a réussi à franchir le seuil minimum de 10 % pour être
représenté au parlement est le CHP ( Parti Républicain du Peuple) avec 19 % des voix.
C’est le parti d’Atatürk, laïc et affilié à l’internationale socialiste).
3Le conseil national de Sécurité (MGK) : le vrai pouvoir politique en Turquie est entre les
mains du MGK et dans son secrétariat qui regroupe le président de la République, le
 
Premier ministre et les ministres de la défense, de l’intérieur, de la Justice, les chefs des
trois armées, ainsi que le chef de l’Etat-major.
·          ALTERNANCE : depuis 25 ans, le gouvernement sortant n’a jamais gagné
·          une élection, faisant de l’instabilité gouvernementale la véritable faiblesse de ce
·          pays et la marque de la profonde insatisfaction d’électeurs (majoritaire
·          ment conservateurs) face à la médiocrité de l’offre politique de partis corsetés
·          par l’armée. Qu’en sera-t-il cette fois-ci ?
·          Au cas ou l’AKP s’emparerait de la présidence, le risque d’un coup
·          d’Etat militaire est réel. La seule réponse possible, c’est l’Union de
·          l’opposition autour du Parti Républicain du Peuple.

 

TURQUIE
Un Etat laïc pour un pays musulman !!
Lors d’un voyage à Istanbul fin décembre 2001, j’avais rencontré Erol OSKORAY, directeur de la revue IDEA POLITIKA et conseiller du président du Parti Républicain du Peuple. Depuis, la revue d’Erol qui était déjà sous le coup de diverses inculpations qui pouvaient l’envoyer pour douze ans en prison, a été interdite...
Certains propos qu’il m’avait confié sont toujours d’actualité.
 interview-Erol-Oskoray-par-allain-GRAUX.JPG

(Mille et une Nuits
Erol OSKORAY : En Europe il y a deux pays qui sont laïcs : la France et la Turquie. Ces deux valeurs sont les plus fortes de notre système politique. En Turquie malheureusement cette République laïque, au lieu de devenir démocratique, est devenue autoritaire. Les institutions républicaines sont sous le contrôle de l’armée.
 
1001 Nuits : L’invention d’Ataturk pour imposer la République laïque?
E.O. Non ! On appelle le Kémalisme, selon Duverger :despotisme éclairé. Son but a toujours été de faire progresser le régime vers la démocratie. La Turquie est passé au pluralisme seulement en 1950, mais comme elle était le front avancé contre le bolchevisme, le système est resté sous contrôle américain. Durant la première guerre mondiale l’Occident voulait nous diviser, nous rejeter du continent. Il s’en est suivi une sorte de paranoïa avec des peurs qui se sont accumulées. Ce sentiment de crainte explique le problème des relations avec l’Europe. La Turquie a connu trois putsch, en 60, 71 et 1980. les militaires ont quitté le pouvoir mais ils ont établi la base de ce système qui repose sur leur contrôle de la constitution de 1982 par le biais du conseil national de sécurité.
1001 Nuits N’est- ce- pas ce système de pouvoir contrôlé par les militaires qui constitue un blocage pour permettre l’entrée de la Turquie dans l’Union européenne ?
E.O.  L’UE a demandé la liquidation totale du CNS ou qu’il devienne une sorte d’institution de conseil qui ne disposerait pas du pouvoir politique. A mon avis, tous les mois, c’est un coup d’Etat à l’encontre des mœurs démocratiques et parlementaires. Nous attendons tout de cette dynamique externe que représente l’UE
 
1001 Nuits Avez-vous néanmoins un espoir que ce problème se résolve rapidement ?  
E.O.
Oui, parce que le peuple turc connaît les rouages de la démocratie, il connaît ses droits de citoyen dans la République, la laïcité est dans ses mœurs. Il y a des élections. Ce sont des choses nécessaires à l’exercice de la démocratie, mais pas suffisantes. Il y a tellement de blocages dans les superstructures de l’Etat que cette volonté de changement n’arrive pas à s’exprimer de manière positive pour et par le peuple.
 
1001 Nuits : Est-ce que les Turcs sont pour autant majoritairement favorables à cette entrée en Europe ?
E.O.Actuellement parmi les pays candidats à l’entrée dans l’U.E., la Turquie détient le plus fort pourcentage de personnes favorables avec 85%
 
1001 Nuits : Est-ce que cela s’exprime par une volonté populaire de changement démocratique ?
E.O Les Turcs sont à la recherche de nouveaux partis politiques, de nouveaux leaders, d’une nouvelle équipe pour amener ce pays au niveau européen. Pour en revenir à cette volonté populaire qui n’est pas reflétée par des partis politiques, c’est que d’un côté il y a des politiciens, de l’autre l’armée, en troisième des hommes d’affaires, tous plus ou moins corrompus, qui traitent avec les élites oligarchiques de l’Etat. 
-           
-          1001 Nuits : Un directeur de magasin m’a déclaré qu’il n’y avait pas de problème kurde est-il vrai ?!.
-          E.O Il y a un problème kurde. Les Turcs ont accepté, dans le cadre du protocole d’adhésion à l’U.E.,le droit à l’utilisation de leur culture, à l’enseignement de leur langue, tous ces droits pour une minorité que l’on ne veut pas reconnaître mais qui est une composante de l’unité nationale.
 
-          1001 NuitsEst-ce réellement la volonté des Etats-Unis de pousser la Turquie dans les bras de l’Europe 
-          EO : Les Etats-unis veulent que la Turquie rentre dans l’Union Européenne, c’était la politique de Clinton. Après la crise du Kosovo, l’Europe a constaté qu’elle devait compter avec la Turquie, force importante, majeure pour la politique dans les Balkans. La politique de Bush est celle que vous avez décrite, mais d’un autre côté il a aussi la volonté que la Turquie soit en Europe en restant une amie fidèle. La Turquie, parce que son influence s’étend effectivement jusqu’aux frontières de la Chine, peut avoir un rôle auprès de ses frères turcophones.
 
1001 Nuits : Il faut aussi convaincre les Européens ? 
E.O En ce qui concerne les droits de l’homme, la liberté de la presse, de l’opinion, les problèmes existent. On ne vous tue pas mais vous avez des procès. Cependant après le 11 septembre, les gens ont constaté qu’il y avait un pays musulman qui était aussi républicain et laïc. C’est le seul exemple. Toutes les religions ont les mêmes droits. Dans les quartiers vous pouvez voir ensemble, l’église, la synagogue et la mosquée.
 
1001 Nuit : Et la question de l’Arménie, le problème arménien !
E.O : Il faut le reconnaître comme vous reconnaissez aujourd’hui la torture et les exactions en Algérie. Cela va se régler. Mais la Turquie ne peut pas accepter le terme de génocide. On peut trouver une solution dans la reconnaissance des faits réels. Je ferai une critique à l’UE qui bombarde la Turquie de ces dossiers à résoudre. Les réactions ont été : « pourquoi ils demandent ça, ils nous veulent du mal ! »
 
Propos recueillis par Allain GRAUX 
 
Le 11 décembre 2001, Erol ozkoray , après la victoire de l’AKP aux élections, écrivait un article dans Libération dont vous trouverez ces extraits ci-dessous qui illustrent assez bien notre éclairage sur la question de la Turquie et de l’Europe :
 
« ...il s’agit des loups déguisés en agneaux ayant un but suprême et dissimulé, un vieux rêve de trente ans : celui de passer à une république islamique, sans oublier par ailleurs qu’il s’agit là des ennemis jurés de l’Occident et du monde chrétien.
...leur qualification d’islamistes modérés et de démocrates islamistes. erreur majeure, car dans une république laïque, il n’y a pas de place pour un islam politisé qui affrontera tôt ou tard les institutions laïques de l’Etat...
Les islamistes en Turquie appliquent la takiye, la dissimulation pour réaliser leur dessein politique machiavélique et suivent à la lettre la stratégie du FIS algérien : conquérir les mosquées, gagner les mairies et remporter les élections.
...le gouvernement islamiste est-il légitime ? La réponse est négative...Primo, la philosophie politique de ce parti est en contradiction totale avec les valeurs fondatrices de la République turque , la laïcité et le kémalisme...Secundo les islamistes représentent seulement 34 % de l’électorat... Tertio, leurs valeurs ne sont pas les mêmes que celles de la société turque dans son immense majorité.
..Pour défendre efficacement la laïcité, il faut une vraie démocratie. Ce manque amènera très rapidement les militaires turcs à entamer le bras de fer avec les islamistes.
..les islamistes en quête de légitimation, hypocritement et sournoisement, jouent à fond la carte européenne...L’union européenne doit-elle se laisser utiliser par ces islamistes internationaux....
Cette Turquie-là, autoritaire, oligarchique et maintenant islamiste, ne mérite pas d’obtenir une date d’ouverture des négociations...en revanche ...dès qu’elle remplira les critères démocratiques de Copenhague, elle rejoindra un jour l’UE.

 

) :Quelle est la situation politique de votre pays ?
Tag(s) : #reportages
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