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La situation politique de cette région a explosé au moment des « révolutions arabes » de 2011, déclenchées en premier lieu par l’autodafé humain d’un jeune tunisien. La révolte contre les dictatures dominantes dans toute la région se sont rapidement étendues à plusieurs pays : l’Egypte, la Libye, le Bahreïn, la Syrie, le Yémen. Elle a peu touchée les autres pays du Maghreb, l’Algérie où le pouvoir contrôlé par le complexe militaro – industriel pétrolier a brusquement lâché un lest social à l’administration et à la petite bourgeoisie (enseignants, médecins, fonctionnaires). Le pouvoir royal marocain, a su utiliser la dignité religieuse du souverain et ses forces répressives pour maintenir la contestation à un niveau qui n’a pas permis de remettre en cause la monarchie chérifienne.

En fait, au-delà des libertés démocratiques, ce qui était en cause et ce qui est toujours en cause, c’est la remise en question d’un ordre socio-économique bloqué depuis 1973, date à laquelle se sont consolidées et solidifiées les dictatures régionales.

En effet, tous les dictateurs, monarques ou Présidents « républicains » et même dits socialistes (la Syrie) ont pour caractéristique commune d’être les propriétaires de la redistribution de la richesse nationale produite. Ce qui est plus particulièrement visible et exemplaire dans les monarchies pétrolières du Golfe Persique : Arabie saoudite, Qatar, Emirats, où il n’y a pas de véritable bourgeoisie nationale, le capital étant détenu essentiellement par les seigneurs féodaux, et les dividendes redistribués selon le bon vouloir du prince. De même Bachar el Assad, président d’une République arabe syrienne dont la devise est : Unité, Liberté, Socialisme, possède 50 % de la richesse nationale dont il redistribue les fruits à sa famille, son clan, ses affidés, son armée, ses fonctionnaires...En Egypte, c’est l’armée qui détient 30 % du Capital ; on ne s’étonnera donc pas que tous les présidents depuis Nasser soient des militaires. De ce fait, on comprend pourquoi le Maréchal Sissi, appuyé par ses officiers est vite revenu au pouvoir après avoir utilisé et manipulé les forces populaires contre les Frères musulmans.

Lénine a énuméré en 1914 les conditions d’une crise révolutionnaire : « quand ceux d’en haut ne peuvent plus...; quand ceux d’en bas ne veulent plus...; quand ceux du milieu hésitent et peuvent basculer... Les trois conditions sont indissociables et combinées. Il s’agit alors, non d’un mouvement social qui s’approfondit, mais spécifiquement d’une crise politique de la domination, d’une crise d’ensemble des rapports sociaux, dont la forme est celle d’une “crise nationale” ». S’inspirant (volontairement ou non) de Lénine, Riadh Sidaoui[1] expliquait récemment, dans une interview à propos de la Libye, ceci : « Pour réussir, une révolution doit regrouper trois facteurs. Le premier, la radicalisation de l’opposition populaire, qui ne demande plus seulement des réformes mais veut la tête de celui qui incarne le régime. Le deuxième, une division au sein de l’élite du pouvoir, un esprit de corps fragmenté. Le troisième, la neutralité de l’armée ou sa trahison envers le régime[2] ».

Les peuples de la région, comme ailleurs dans le monde, aspiraient à la fin d’un pouvoir de domination totale. La réponse politique à ces aspirations n’a été apportée que pour la Tunisie. Pour d’autres pays, soit que l’intervention occidentale ait généré le chaos comme en Libye, en Irak (là, depuis la guerre du Golfe), soit que la réaction ait ramené la dictature : Egypte, Bahreïn, ou la guerre civile : Yémen, Syrie. Et, par une sorte de contamination issue du conflit syrien, le pouvoir turc du parti islam-conservateur AKP se transforme en une redoutable dictature avec son sultan, le président Recep Tayyip Erdogan. On doit également considéré le manque d’enthousiasme de membres de l’UE à la candidature d’entrée de la Turquie dans la communauté européenne, bien qu’elle y soit largement associée sur le plan économique et un partenaire essentiel dans l’Otan. La Turquie, à cheval entre deux continents, semble regarder aujourd’hui vers l’Est.

Le conflit syrien

Etant donné la nature clanique du pouvoir syrien, il est très difficile de le renverser, car nombreux sont ceux qui bénéficient aux différents échelons du régime des avantages distribués à ses affidés par le président alaouite. Difficile de fissurer l’appareil d’Etat, détenu depuis 45 ans par le clan Assad, qui a étendu ses ramifications dans toutes les institutions et les entreprises, comme une pieuvre qui vous enserre de ses tentacules. Par ailleurs, les minorités d’obédiences chrétiennes s’imaginent plus protégées par un pouvoir dit laïque que par un régime qui serait confessionnel ou dirigé par un musulman sunnite. Cela ne signifie pas que cette guerre civile soit un conflit religieux. Initialement la contestation, les revendications, étaient de nature politique et sociale : la liberté et le pain. On a pu observer ce caractère revendicatif, et on l’observe encore à chaque trêve où, dès que cessent les bombardements, les manifestations reprennent au milieu des ruines...

Etant donné la nature et la particularité de ce régime, il ne pouvait logiquement pas lâcher. Il avait en outre l’exemple de ce qui s’était passé en Tunisie avec Ben Ali, puis en Libye avec Kadhafi, lynché par les opposants. 

C’est la réponse sanglante du clan Assad, outrageusement répressive, qui a provoqué des défections au sein de l’appareil d’Etat et dans l’armée, parmi les soldats et les officiers qui refusaient de tirer sur le peuple, leurs frères, leurs enfants, leurs femmes. Ensuite s’est formée l’ASL[3]. Comme elle n’a pas bénéficié d’un soutien suffisant et efficace des puissances occidentales, par peur d’armer des « terroristes musulmans », d’Al Qaeda, puis de l’Etat islamiste, des groupes de résistants ont été armés par les Etats de la région, selon leurs obédiences : frères musulmans, chiites, etc... Chacun les siens et chacun agissant pour la défense de ses propres intérêts, une superposition pour satisfaire les ambitions des puissances régionales. Ces groupes constituent une force alternative contre-révolutionnaire composée de :

- courants intégristes islamistes : L’Etat islamiste qui s’est étendu jusqu’en Iraq depuis le Nord et l’Est du pays, Al Qaeda, devenu Al Noshrah et Fatha al Cham.

« La rupture officielle du lien d'allégeance entre le Front al-Noshrah et Al-Qaeda, annoncée le 28 juillet dernier simultanément par les chefs des deux organisations terroristes, Mohamed al-Joulani et Ayman al-Zawayri, n'est qu'une simple manœuvre tactique. Elle vise à contrer l'accord russo-américain du 15 juillet dernier, par lequel les deux grandes puissances s'engagent à combattre le Front al-Noshrah en Syrie. L'annonce de cet accord a semé la stupeur dans les pétromonarchies du Golfe et en Turquie, pays qui soutiennent la branche syrienne d'Al-Qaeda depuis son arrivée en Syrie, en 2012. Depuis, le Front al-Noshrah n'a fait que monter en puissance et est devenu aujourd'hui le fer de lance de la rébellion. Dans la région d'Alep, il a éliminé les groupes rebelles soutenus par les occidentaux et récupéré les armes sophistiquées qui leur avaient été confiées : les fameux missiles antichars TOW américains se trouvent aujourd'hui entre les mains du groupe terroriste. Cela explique donc la volonté américaine de combattre avec la même intensité le Front al-Noshrha que l'Etat Islamique, même si cela doit affaiblir la rébellion syrienne. Car, cela ne sert à rien d'éradiquer l'Etat Islamique de Syrie si c'est pour voir le Front al-Noshrah le remplacer...[] Mohamed al-Joulani finit par annoncer la création d'un nouveau groupe : « Le Front Fath al-cham», précisant qu'il n'avait pas d'affiliation avec une organisation externe, sous-entendu Al-Qaida. L'idéologie salafiste radicale et les méthodes terroristes du groupe ne changent pas. Les lieutenants de Zawahiri qui aident Mohamed al-Joulani à construire un émirat islamique en Syrie du Nord n'ont pas été expulsés. Nous sommes donc face à un exemple caricatural de dissimulation («taqya») fréquente au sein des organisations terroristes, à titre individuel et collectif, la fin justifiant les moyens. Les médias saoudiens et Qataris jouent le jeu ainsi que tous ceux qui souhaitent la défaite de Bachar el-Assad en Syrie...[] Hillary Clinton, lorsqu'elle était ministre des Affaires étrangères, n'a pas hésité à placer sur la liste des organisations terroristes le Front al-Nosra (le 20 novembre 2012), avant même qu'Ayman al-Zawayri ne rende publique sa filiation (novembre 2013), car elle considérait qu'il s'agissait d'une émanation d'Al-Qaïda en Irak qui s'était déplacé en Syrie. A l'époque, cette mesure avait été très mal accueillie par la Coalition Nationale Syrienne, la Turquie, les pétromonarchies du Golfe et même la France, qui par la voix de Laurent Fabius avait déclaré: « Le Front al Noshrah fait du bon boulot en Syrie contre Assad et donc il est difficile de les désavouer ». Il faut préciser que François Hollande avait déjà ordonné à la DGSE de livrer des armes aux rebelles syriens, en dépit de l'embargo européen et du risque qu'elles ne se retrouvent entre les mains des djihadistes[4].. »

- Ces pôles contre-révolutionnaires s’opposent à la fois à la dictature Assad et à la révolution portée par l’ASL, les petits courants progressistes, la Coalition.

Les intervenants extérieurs et leurs milices :

- La Russie qui bombarde tout ce qui est opposant au régime, groupes armés comme civils.

- Les milices chiites iraniennes et libanaises du Hezbollah qui soutiennent le régime ami d’Assad.  

- La Turquie, qui après avoir armé Daech, combat les islamistes, mais concentre surtout ses attaques contre les Kurdes du Rojava, les YPG (Unités de défense populaire) alliés du PKK de Turquie, pour empêcher toute indépendance et jonction avec leurs frères d’Irak déjà autonomes. Ceux-là, Gardes régionaux kurdes ou Kurdish Regional Guards, aussi appelés Peshmerga, forts de 350 000 hommes dont 145 000 actifs qui combattent l'État islamique1, sont généralement armés d’AKMS, M4A1 et Zastava M92, chars d’assaut, de véhicules blindés et aussi de quelques hélicoptères Eurocopter EC135 et d'autogires. Ils reçoivent, en autres donations, de l'équipement dont de l'armement léger et antichar (dont des fusils HK G3 et HK G36, missiles Milan, canons de 20 mm) et une formation militaire de plusieurs pays européens depuis 2014. C’est une force terrestre essentielle pour combattre l’Etat islamique.

Sans ces forces, le régime aurait vraisemblablement succombé aux assauts des opposants. Dans ce cas, on peut légitimement se demander si la Syrie n’aurait pas sombré dans le chaos et n’aurait pas été dépecée, découpée en rondelles comme un salami.

La Russie s’est engouffrée dans l’espace ouvert par l’attitude ambiguë et retenue d’un Barak Obama, président d’un empire qui ne voulait pas reproduire les erreurs des présidences Bush et avaient engagé leur retrait d’Afghanistan et d’Irak. Néanmoins, les régimes vassaux de ces pays étant incapables d’assurer seuls leur maintien au pouvoir, face aux talibans, à El Qaida et à l’Etat islamique, les Etats-Unis ont dû se réinvestir et n’ont toujours pas quitté les lieux. Sans toutefois intervenir directement. En Irak, les soldats américains apportent leur aide, soutien et conseils, à un régime qui par ailleurs est soutenu par les Iraniens, alors qu’ils se combattent en Syrie !!! Les Américains n’ont pas bombardé Hassad, alors qu’ils avaient menacé de le faire s’il utilisait des armes chimiques. En fait, il ne fallait pas que l’appareil d’Etat syrien s’écroule comme ce fût le cas avec l’Irak de Saddam Hussein avec George Walker Bush. C’est le vide créé par l’ingérence américaine qui a permis aux « terroristes » irakiens, et aux anciens soldats et officiers du régime baasiste, de créer l’Etat islamiste. Russie, Iran et Hezbollah ont profité de ces incohérences stratégiques.

En Syrie, les milices chiites iraniennes, rejointes par le Hezbollah, sont intervenues pour sauver le régime ami, lui éviter d’être isolé et de s’écrouler. Puis la Russie a achevé le travail et permis à Assad de se rétablir.

 

[1] Riadh Sidaoui, « La Libye penche entre la révolution et la guerre civile », 21 février 2011, interview disponible sur http://www.20minutes.fr/monde/libye/673827-monde-la-libye-penche-entre-revolution-guerre-civile.

[2] http://www.juliensalingue.fr/article-printemps-arabe-un-processus-revolutionnaire-durable-un-defi-epistemologique-88015411.html

[3] ASL : l’Armée Syrienne Libre

[4] Le Figaro -12/08/2016 - Fabrice Balanche - Il est maître de conférences à l'Université Lyon-2 et chercheur invité au Washington Institute. Spécialiste du Moyen-Orient, il a publié notamment : La région alaouite et le pouvoir syrien (éd. Karthala, 2006) et Atlas du Proche-Orient arabe (éd. RFI & PUPS, 2010).

 

Pourquoi la Russie est-elle intervenue?

La Russie dispose de nombreux intérêts en Syrie, Économiquement, Damas a toujours été un client de choix pour le complexe militaro-industriel russe. Moscou ne souhaite pas perdre cet allié, pas plus que Téhéran qui est également un client pour son armement, comme elle a perdu la Libye de Khadafi.

C’est aussi dans ce pays que la Russie détient son dernier accès à la Méditerranée, avec le port militaire de Tartous, dans le Sud du pays, où elle possède une base.

Mais surtout, dès 2015, il était clair que la flamme de l'incendie syrien allait enflammer la zone des intérêts vitaux de la Russie, car à proximité de ce point chaud se trouve l'Asie centrale et l'Afghanistan, où Daech s'est déjà implanté assez profondément. Une situation intolérable pour les Russes. Ils ne pouvaient pas tolérer le risque de voir l’Etat islamique à Damas, aux portes du Liban et de Bagdad. Dans le cas d’une victoire des intégristes, l’Arabie saoudite qui les a armés, n’aurait pas été à l’abri d’une marche sur Médine et La Mecque. Daech n’a–t-il pas déjà tenu plusieurs déclarations belliqueuses selon lesquelles "la famille saoudienne n'a pas le droit de contrôler les villes saintes pour les musulmans, La Mecque et Médine".

Quand Moscou s’est lancé, en septembre 2015, dans une intervention armée en Syrie, son objectif déclaré est de combattre les terroristes, principalement l’Etat islamique (EI). Les frappes russes ne visent pas uniquement les djihadistes mais l’ensemble des rebelles, radicaux ou dits modérés. Pour Poutine, il s’agit de neutraliser toute possibilité d’alternative au régime de Damas. Pour Moscou, la coalition menée par les Etats-Unis soutient et arme des terroristes, déclare le ministère des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov. C’est pourquoi, à Alep les bombes russes pleuvent indistinctement sur toutes les autres factions rebelles présentes, et surtout sur les civils. Les moyens déployés sont considérables, à la mesure de l’enjeu : le porte-avions Amiral Kouznetsov déployé à Tartous, avec à son bord avions et hélicoptères de combat, dont les chasseurs SU-33, MiG-29KR et MiG29-KUBR et l’hélicoptère Ka-52K et 4 300 hommes sur le terrain.

Ce que l’on peut reprocher aux Russes, c’est de ne pas se concentrer maintenant sur l’EI, s’ils craignent tant que cela l’influence islamiste. Auraient-ils aussi un « complexe afghan » en refusant de s’engager davantage, une fois le régime baasiste sauvé ? Car, comme les Etatsuniens, les soviétiques s’étaient largement embourbés en Afghanistan.

Après leur succès diplomatique de la conférence d’Astana des 23 et 24 janvier 2017 - dont le choix du lieu n’est pas un hasard si on considère la logique de l’intervention russe - quelle sera la suite du débat entre Damas et Téhéran, les capitales de leur alliance ? Dorénavant leurs intérêts ne sont plus obligatoirement les mêmes. C’est en constatant ces faits indéniables que Jean Luc Mélenchon avait déclaré que « les Russes allaient régler le problème », par réalisme et non par cynisme politique ou indifférence face aux souffrances de populations qui n’aspirent qu’à vivre dans la paix. Il est si facile de faire de la démagogie en faisant appel à la morale et aux sentiments humanistes des gens, comme si produire une analyse logique d’une situation géopolitique était le signe d’une absence de tels sentiments.

Une autre dimension : c’est l’argument énergétique. Le gaz syrien

Le professeur Imad Shuebi[1]estime que Washington a créé un projet appelé Nabucco pour concurrencer celui des Russes, en ce qui concerne l’exploitation des ressources en gaz de la région. Une question capitale pour les Russes, dont les recettes essentielles d’exportation reposent sur cette source d’énergie. Personne n’ignore qu’ils fournissent la plupart des pays européens, à l’Est comme à l’Ouest. C’est ainsi que furent jetées les bases des projets South Stream et Nord Stream, faisant face au projet étatsunien Nabucco, soutenu par l’Union européenne, qui visait le gaz de la mer Noire et de l’Azerbaïdjan. Les Chinois seraient aussi très intéressés. Le projet Nord Stream relie directement la Russie à l’Allemagne en passant à travers la mer Baltique jusqu’à Weinberg et Sassnitz, sans passer par la Biélorussie. Le projet South Stream commence en Russie, passe à travers la mer Noire jusqu’à la Bulgarie et se divise entre la Grèce et le sud de l’Italie d’une part, et la Hongrie et l’Autriche d’autre part... Pour les États-Unis, le projet Nabucco part d’Asie centrale et des environs de la mer Noire, passe par la Turquie et devait à l’origine passer en Grèce, mais cette idée avait été abandonnée sous la pression turque. Ce projet, écrit le professeur Imad, bat de l’aile. A partir de là, écrit-il, la bataille du gaz a tourné en faveur du projet russe. En juillet 2011, l’Iran a signé divers accords concernant le transport de son gaz via l’Irak et la Syrie. Par conséquent, c’est désormais la Syrie qui devient le principal centre de stockage et de production, en liaison avec les réserves du Liban. C’est alors un tout nouvel espace géographique, stratégique et énergétique qui s’ouvre, comprenant l’Iran, l’Irak, la Syrie et le Liban. Les entraves que ce projet subit depuis plus d’un an donnent un aperçu du niveau d’intensité de la lutte qui se joue pour le contrôle de la Syrie et du Liban[2].   

Selon Moiffak Hassan, consultant pétrolier (La bataille des corridors noirs, dans Libération du 10 mars 2016), la Syrie compte peu pour sa production pétrolière ; les gisements syriens sont contrôlés par l’Etat islamique dans les régions de Deir el-Zor et de Palmyre, et la région de Roumeilan est contrôlée par les Kurdes. De plus, l’essentiel de la production pétrolière est écoulée par l’organisation terroriste dans les zones sous son contrôle, au prix très lucratif du marché noir. En revanche, le gaz est vendu par l’Etat islamique au régime syrien contre la fourniture d’électricité.  

Mais, elle pourrait être un couloir clé pour des oléoducs et gazoducs arabes et iraniens à même d’approvisionner le marché européen[3].

On peut facilement imaginer que l’intérêt pour Palmyre ne tient pas uniquement à la sauvegarde de ce patrimoine de l’humanité, mais principalement à son enjeu énergétique.

L’intérêt pour la Syrie des principales puissances arabes : Arabie, Qatar, Jordanie, de l’Iran et la Russie, mais aussi de l’UE, a un enjeu économique et énergétique stratégique : le territoire syrien pourrait représenter un couloir clé pour des oléoducs et gazoducs arabes et iraniens vers l’Europe. En 2009, le Qatar a proposé à la Syrie la construction d’un réseau via l’Arabie Saoudite et la Jordanie afin d’acheminer son gaz vers ce marché. Plus tard, en 2011, sous la pression de Téhéran, son allié, Damas a remplacé la proposition qatarie par un projet de gazoduc iranien reliant la République islamique à la Syrie en passant par l’Irak[4]...

Gazprom a lancé en 2012 les premiers travaux pour la construction du South Stream, d’une capacité de 63 milliards de m3/an, qui devait traverser la mer Noire en passant par la Bulgarie pour fournir le marché du sud de l’Europe...[] la Commission européenne n’a pas validé le projet South Stream, estimant qu’il violait les règles anti concentration européennes. Il a été annulé en décembre 2014. La Russie est revenue à la charge en juillet 2015 en proposant un autre projet de gazoduc à la Turquie (Turkish Stream) passant par la mer Noire et l’Anatolie. Ankara, déjà engagé dans la construction du gazoduc transanatolien, a décliné l’offre, une fois encore.

On notera la concomitance de ce dernier refus turc avec l’entrée en guerre de la Russie en Syrie...

Comment  mettre fin au conflit au Proche-Orient ?

Le président russe a compris que le retrait souhaité des Etats-Unis lui offrait le privilège de restaurer, à partir de cette région, un statut de superpuissance disparu avec l’URSS. Le changement de président ne change rien à cette volonté de désengagement.

Il existe un grand nombre d'obstacles que la Russie devra surmonter, car les intérêts des uns et des autres divergent toujours autant. Et même si Daech est en recul, en Syrie comme à Mossoul, les intégristes occupent toujours un vaste espace.

La Turquie, comme les occidentaux de l’Otan, insiste pour que le président syrien démissionne. Pourra-t-on réunir l’Arabie saoudite et l’ennemi intime Iranien autour d’un départ programmé d’Assad ?

Et que deviennent les Kurdes bombardés par les Turcs dans cette affaire ?

Le cessez-le-feu entre le régime et les rebelles syriens a été adopté en vertu d’un accord conclu sous l’égide de la Russie et de la Turquie, sans les Etats-Unis ni l’ONU. Il implique treize groupes armés, soit environ 60 000 combattants. Les groupes Fatah al-Cham et Etat islamique ne sont pas concernés[5].

Certains pensent que la paix passe par la neutralisation de toutes les forces étrangères, qu’elles soient russes, pro-iraniennes, ou djihadistes. Et ce serait nécessaire. Mais Daech comme Al Nosrah alias Fath el Cham sont toujours présents et ne respectent aucune trêve. Al Noshrah s’est attaqué récemment à l’ASL au Nord de Damas. Si l’objectif est la paix et le désarmement des belligérants, cela ne pourra pas se faire sans l’éradication de l’Etat islamique. L’objectif commun devrait-être celui-là. Moscou est-il en mesure de l’imposer ? Les Russes s’engageront ils davantage dans ce sens-là ! Si l’on en croit l'ambassadeur de la Russie en Syrie, Alexandre Kinchtchak, les forces gouvernementales syriennes qui s'appuient sur le soutien [de ses] alliés, y compris les forces aériennes russes, tentent maintenant de prendre l'initiative sur l'Etat islamique dans cette zone [de Palmyre]», a expliqué le diplomate, cité par l'agence TASS[6].

Par ailleurs, Moscou a proposé un projet de Constitution « pour accélérer le processus », Alexandre Kinchtchak a suggéré l'institutionnalisation des discussions entre l’opposition et le gouvernement syrien. La rencontre d'Astana a ouvert la voix aux négociations qui auront prochainement lieu à Genève.

Ce qui se passe en Syrie, ce n’est pas uniquement la tragique histoire d’un méchant dictateur appuyé par un autre dictateur, contre les gentils démocrates occidentaux. Ce qui se passe en Syrie est une affaire politique et non humanitaire[7]. Ce qui n’exclue pas d’avoir des sentiments humanistes pour les victimes, quel qu’elles soient. Les grands médias matraquent aussi en permanence l’idée d’un conflit des sunnites contre les chiites ; ce n’est qu’un des aspects d’une situation très complexe, aux multiples dimensions et implications.

 

[1] Philosophe et géopoliticien. Président du Centre de documentation et d’études stratégiques (Damas, Syrie).

[2] Source : https://www.legrandsoir.info/refondation-energetique-du-moyen-orient-la-plaque-tectonique-syrienne.html

[3] ww.liberation.fr/planete/2016/03/10/la-bataille-des-corridors-noirs_1438836

[4] ibid

[5] http://www.lemonde.fr/syrie/article/2016/12/31/le-conseil-de-securite-de-l-onu-

[6] https://francais.rt.com/international/33657-ambassadeur-russe-syrie-damas-pourrait-lancer-nouvelle-offensive-contre-daesh

[7] C’était l’avis du politologue Gérard Chalian, sur le plateau de « C dans l’air » du 14 juin 2012, sur France 5. C’est aussi le mien.

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